University of Minnesota



Irina Arutyuniantz c. Uzbekistan, Communication No. 971/2001, U.N. Doc. CCPR/C/83/D/971/2001 (2005).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR

Présentée par: Irina Arutyuniantz (non représentée par un conseil)

Au nom de: Vazgen Arutyuniantz, fils de l'auteur

État partie: Ouzbékistan

Date de la communication: 18 décembre 2000 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2005,

Ayant achevé l'examen de la communication no 971/2001 présentée au Comité des droits de l'homme au nom de Vazgen Arutyuniantz en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:



Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif



1.1 L'auteur est Irina Arutyuniantz, de nationalité ouzbèke, née en 1952. Elle présente la communication au nom de son fils, Vazgen Arutyuniantz, également de nationalité ouzbèke, né en 1977, actuellement incarcéré dans la ville d'Andijan en Ouzbékistan. Elle affirme que son fils est victime de violations par l'Ouzbékistan des articles 6, 7, 14, paragraphes 2 et 3 g), et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. (

) Elle n'est pas représentée par un conseil.

1.2 Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'Ouzbékistan le 28 décembre 1995.


Rappel des faits

2.1 Le 31 mai 2000, Vazgen Arutyuniantz et un autre homme, Armen Garushyantz, ont été reconnus coupables par le tribunal militaire de Tachkent (2) du meurtre aggravé de deux personnes et du cambriolage de leur appartement; ils ont été condamnés à mort. Le tribunal a établi qu'en janvier 1999 les deux hommes s'étaient rendus dans l'appartement de l'une des victimes, à laquelle ils devaient de l'argent, et l'ont tuée en la frappant avec un marteau, puis ont cambriolé son appartement. Il a établi qu'en mars 1999 les deux hommes avaient également tué un autre homme en le frappant plusieurs fois à la tête avec un marteau, puis avaient cambriolé son appartement. L'auteur déclare que son fils a admis avoir été présent sur la scène de chacun de ces meurtres et avoir commis des vols qualifiés, mais qu'il maintient être innocent des deux meurtres.

2.2 Selon l'auteur, son fils a eu un procès inéquitable et a été injustement déclaré coupable de meurtre. Sa condamnation était fondée sur le témoignage de son complice présumé, Garushyantz, lequel a modifié sa déposition plusieurs fois. Lorsqu'il a été arrêté, Garushyantz avait dit qu'Arutyuniantz, qui était alors toujours en fuite, avait commis les deux meurtres. Après l'arrestation d'Arutyuniantz, Garushyantz a reconnu avoir déclaré faussement qu'Arutyuniantz avait commis les meurtres, dans l'espoir que celui-ci ne serait pas appréhendé et qu'il ne le contredirait donc pas. Par la suite, au tribunal, craignant d'être condamné à mort, Garushyantz est de nouveau revenu sur sa déposition, affirmant cette fois-ci qu'Arutyuniantz avait tué la première victime, mais qu'il avait tué la deuxième. Malgré ces incohérences, c'est sur la base de la déposition de Garushyantz que le fils de l'auteur a été reconnu coupable de meurtre.

2.3 L'auteur déclare qu'il n'y avait pas de preuve ni même de conclusion du tribunal sur la question de savoir si c'était bien Arutyuniantz ou son complice qui avait tué l'une des victimes ou les deux, nonobstant les prescriptions de l'ordonnance no 10 de la Cour suprême, qui dispose que, dans le cas de crimes attribués à un groupe d'individus, le tribunal doit établir le rôle joué par chacun dans ce crime. Il est simplement déclaré dans la décision judiciaire que «Garushyantz et Arutyuniantz ont frappé (les victimes) avec un marteau», sans préciser lequel des deux a donné les coups de marteau. L'auteur affirme qu'en de telles circonstances le droit de son fils à être considéré comme innocent jusqu'à ce qu'il soit reconnu coupable a été violé. Elle déclare que le tribunal inclinait déjà vers la culpabilité à l'ouverture du procès, et qu'il a souscrit à chacune des accusations formulées contre son fils en vertu du Code pénal, alors même que certaines étaient tout simplement sans objet. Ainsi, son fils a été accusé d'avoir tué deux personnes ou plus en vertu de l'article 97 du Code pénal. Or cet article, selon l'auteur, ne s'applique que lorsque les meurtres en cause sont commis simultanément. Elle affirme en outre qu'il n'y avait pas de preuve de ce que les meurtres aient été commis avec des circonstances aggravantes, comme l'a estimé le tribunal. Selon elle, celui-ci s'est borné dans sa décision à reproduire l'acte d'accusation, et c'est là une indication de plus de son manque d'objectivité.

2.4 L'auteur déclare que son fils a été sauvagement battu après son arrestation par la police dans le but de lui extorquer un aveu quant à sa prétendue participation aux meurtres. Le fait que son fils a été battu a été établi par un examen médical effectué par le Ministère de la défense le 12 juillet 1999. L'auteur fait valoir que son mari était revenu bouleversé d'une visite à son fils en prison car celui-ci était couvert de bleus. Il a dit à son père qu'il avait très mal aux reins, qu'il avait du sang dans les urines, qu'il souffrait de maux de tête et n'était pas capable de se tenir debout. Le magistrat instructeur aurait dit à son mari que leur fils était un assassin et qu'il serait fusillé. Dans un message adressé de sa cellule à ses parents, il les a implorés de l'aider, ajoutant qu'il était battu mais qu'il refusait d'avouer parce qu'il n'était pas un assassin. L'auteur déclare qu'en octobre 1999, désespéré par la situation de son fils, son mari s'est suicidé.

2.5 M. Arutyuniantz a formé recours devant la Cour suprême pour lui soumettre l'affaire susmentionnée, sans toutefois évoquer l'allégation selon laquelle il aurait été sauvagement battu. Le 6 octobre 2000, il a été débouté de l'appel de sa condamnation pour meurtre.


Teneur de la plainte

3. L'auteur affirme que le procès de son fils et les mauvais traitements qu'il a subis alors qu'il était en détention avant jugement ont donné lieu à des violations des articles 6, 7, 14, paragraphes 2 et 3 g), et 16 du Pacte.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Par une note datée du 13 janvier 2005, l'État partie a affirmé le 28 décembre 2001 que la Cour suprême avait pris une ordonnance commuant la peine de mort prononcée contre M. Arutyuniantz en une peine de 20 ans d'emprisonnement. Comme suite aux « décrets d'amnistie » présidentiels datés des 28 décembre 2000, 22 août 2001 et 3 décembre 2002, la peine de M. Arutyuniantz a été réduite à 9 ans, 4 mois et 22 jours d'emprisonnement; il n'a pas été admis à bénéficier d'autres décrets d'amnistie pris les 1er décembre 2003 et 1er décembre 2004 parce qu'il avait enfreint le règlement pénitentiaire.

4.2 L'État partie affirme que l'enquête préliminaire sur les crimes dont M. Arutyuniantz a été reconnu coupable a été conduite conformément au Code de procédure pénale ouzbek et que tous les chefs d'accusation et éléments de preuve ont été appréciés de manière approfondie. Il affirme que la culpabilité d'Arutyuniantz a été démontrée et considère que la communication est tout à la fois irrecevable et dénuée de fondement.


Délibérations du Comité

5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s'est assuré, comme le prévoit le paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

5.3 Le Comité note que la plainte de l'auteur au titre de l'article 16 n'a pas été étayée et qu'il n'y a pas dans le dossier d'informations laissant penser que le fils de l'auteur s'est vu dénier la reconnaissance de sa personnalité juridique. En outre, compte tenu de la commutation de la peine de mort prononcée contre M. Arutyuniantz, la plainte de l'auteur au titre de l'article 6 du Pacte ne repose plus sur aucune base factuelle. En conséquence, le Comité considère que ces plaintes n'ont pas été étayées et qu'elles sont donc irrecevables en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

5.4 S'agissant des plaintes de l'auteur selon lesquelles les droits que tient son fils des articles 7 et 14, paragraphe 3 g), ont été violés, le Comité note que ces questions n'ont pas été soulevées par le fils de l'auteur dans l'appel qu'il a formé devant la Cour suprême. Le Comité n'a reçu aucune information faisant état de ce que l'auteur se serait plaint aux autorités de l'État partie des mauvais traitements que lui aurait fait subir la police. Il réaffirme que la prescription, selon laquelle un auteur doit avoir épuisé les recours internes, concerne chaque allégation de violation du Pacte, et non pas simplement la décision d'un tribunal défavorable à l'auteur. Le Comité considère donc que les plaintes de l'auteur concernant des violations de l'article 7 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

5.5 Le Comité estime que rien ne s'oppose à ce que la dernière plainte de l'auteur au titre du paragraphe 2 de l'article 14 soit jugée recevable, et il procède à l'examen au fond de cette plainte.


Examen au fond

6.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note que si l'État partie a communiqué des observations sur l'affaire de l'auteur et sa condamnation, notamment des informations sur la commutation de la peine de mort, il n'a donné aucune information sur les plaintes formulées par l'auteur. L'État partie se borne à affirmer que M. Arutyuniantz a été jugé et reconnu coupable conformément aux lois ouzbèkes, que les chefs d'accusation et éléments de preuve ont été appréciés de manière approfondie, que sa culpabilité a été démontrée et que la communication est tout à la fois irrecevable et dénuée de fondement.

6.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle son fils n'a pas été présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit reconnu coupable, l'auteur a fait des observations détaillées dont l'État partie n'a pas traité. Le Comité rappelle qu'il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif qu'il convient qu'un État partie examine de bonne foi toutes les allégations faites contre lui et communique au Comité toutes les informations pertinentes dont il dispose. Le Comité ne considère pas qu'une déclaration générale sur le caractère approprié de la procédure pénale en cause satisfasse à cette obligation. Eu égard à cela, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur, pour autant qu'elles soient étayées.

6.3 L'auteur décrit un certain nombre de circonstances qui, selon elle, démontrent que son fils n'a pas bénéficié de la présomption d'innocence. Elle déclare que la condamnation de son fils était fondée sur le témoignage d'un complice qui est revenu plusieurs fois sur sa déposition et qui, à un certain moment, a avoué avoir commis les meurtres lui-même et avoir faussement mis en cause Arutyuniantz. Elle déclare aussi que la juridiction de jugement n'a jamais déterminé de manière affirmative qui avait tué les deux victimes; il est déclaré dans la décision que les deux accusés ont frappé et tué les victimes avec un seul marteau.

6.4 Le Comité rappelle son Observation générale no 13, dans laquelle il a réaffirmé que du fait du principe de la présomption d'innocence, la preuve incombe à l'accusation quel que soit le chef d'accusation, et l'accusé a le bénéfice du doute. L'accusé ne peut pas être présumé coupable tant que le bien-fondé des accusations dont il fait l'objet n'a pas été démontré au-delà de tout doute raisonnable. Il ressort des informations données au Comité, qui n'ont pas été contestées sur le fond par l'État partie, que les charges et les éléments de preuve retenus contre l'auteur laissent place à un doute considérable. Le Comité estime qu'il y a lieu d'examiner avec circonspection tout élément de preuve incriminant une personne qui est apporté par un complice poursuivi pour la même infraction, en particulier lorsque ce complice a modifié à plusieurs reprises sa version des faits. Le Comité ne dispose d'aucune information donnant à penser que le tribunal de première instance ou la Cour suprême ait pris ce facteur en considération, bien que le fils de l'auteur l'ait invoqué.

6.5 Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c'est aux juridictions des États parties au Pacte, et non à lui-même, qu'il appartient généralement d'examiner ou d'apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s'il peut être établi que la conduite du procès ou l'appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. (3) Pour les motifs exposés plus haut, le Comité estime que de telles irrégularités ont entaché le procès de l'auteur en l'espèce.

6.6 En l'absence de toute explication de la part de l'État partie, les préoccupations susmentionnées font fortement douter que le fils de l'auteur soit coupable des meurtres pour lesquels il a été condamné. Au vu des pièces dont il est saisi, le Comité considère que M. Arutyuniantz n'a pas eu le bénéfice de ce doute dans les poursuites pénales engagées contre lui. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le procès de l'auteur n'a pas été mené dans le respect du principe de la présomption d'innocence, en violation du paragraphe 2 de l'article 14.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, le Comité considère que l'auteur a droit à un recours utile, sous la forme notamment d'une indemnisation et d'un nouveau procès ou d'une libération.

9. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également prié de publier les constatations du Comité.


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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Adelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèglè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.


Notes

1. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'État partie le 28 décembre 1995.

2. Il ressort du dossier que le coaccusé de l'auteur avait servi sous les drapeaux jusqu'en 1998, date à laquelle il a déserté. L'auteur n'a formulé aucun grief particulier quant au fait que son fils a été jugé par un tribunal militaire.

3. Voir Romanov c. Ukraine, communication no 842/1998, décision concernant l'irrecevabilité adoptée le 30 octobre 2003.

 

 



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