Présentée par: R. P. C. W. M. Brandsma (représenté par un conseil,
M. M. W. C. Feteris)
Au nom de: L'auteur
État partie: Pays-Bas
Date de la communication: 30 octobre 2000 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2004,
Ayant achevé l'examen de la communication no 977/2001 présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de R. P. C. W. M. Brandsma en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. L'auteur de la communication est R. P. C. W. M. Brandsma, de nationalité
néerlandaise, né le 14 octobre 1961. Il se déclare victime de la violation
par les Pays-Bas de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est fonctionnaire au Ministère des finances et à l'Université
de Leiden. En 1998, il a perçu une rémunération supplémentaire de 9
166 florins au titre des congés payés, laquelle est venue s'ajouter
à son traitement normal durant les congés, qui s'est élevé à 11 894
florins. Les sommes perçues au titre des congés payés ont été soumises
dans leur intégralité à l'impôt sur le revenu, conformément aux lois
et règlements néerlandais.
2.2 L'auteur précise que, comme lui, la plupart des salariés néerlandais
reçoivent leurs rémunérations de congés payés directement de leur employeur.
Toutefois, dans certains secteurs d'activité, en particulier dans le
secteur du bâtiment, les salariés reçoivent des bons vacances. Il s'agit
de titres qui peuvent être encaissés, au moment des congés, auprès d'une
fondation qui est financée par les contributions des employeurs. La
somme correspondant à ces bons est imposée en même temps que le salaire
mensuel ou hebdomadaire, alors que les salariés ne les encaissent qu'à
une date ultérieure.
2.3 Avant la réforme fiscale de 1990, s'il y avait eu une modification
technique dans le calcul de l'impôt sur les traitements et salaires,
les bons vacances auraient été imposés à un taux plus élevé que les
rémunérations normales versées au titre des congés payés. Afin de compenser
ce désavantage, les bons vacances n'étaient imposés qu'à hauteur d'un
certain pourcentage de leur valeur normale (75 % en 1950, 50 % en 1953
et 60 % en 1969). L'auteur précise que ce système a été critiqué par
des fiscalistes, qui ont fait valoir que la sous-évaluation des bons
tendait à privilégier les salariés qui percevaient leur rémunération
de congés payés sous cette forme.
2.4 En 1986, un comité d'experts (le Comité Oort) a recommandé au Gouvernement
de simplifier le système fiscal. Le nouveau système prévoyant de supprimer
le taux supérieur d'imposition applicable aux sommes perçues sous forme
de bons vacances, le Comité a donc recommandé d'imposer les bons à 100
%. Toutefois, le Conseil économique et social, organe consultatif permanent
du Gouvernement, a estimé que ce système entraînerait une augmentation
des dépenses pour les employeurs et une diminution du salaire net des
salariés, et qu'en conséquence les intéressés s'y opposeraient. Suite
à cette recommandation, et après des consultations avec la Fondation
du travail, l'organe consultatif officiel réunissant les organisations
d'employeurs et de salariés, un projet de réforme fiscale a été présenté
visant à supprimer le désavantage fiscal des bons vacances et, parallèlement,
à les imposer à 75 % de leur valeur. Cette proposition a été acceptée
par le Parlement et est entrée en vigueur le 1er janvier 1990.
2.5 En 1996, d'autres réformes fiscales ont été proposées. Après des
consultations avec les organisations d'employeurs et de salariés, de
nouvelles règles ont été publiées, pour entrer en vigueur le 1er janvier
1999, tendant à abolir progressivement le système de fixation de valeur
des bons vacances. À partir de 1999, celle-ci doit augmenter de 2,5
% par an, pour atteindre 92,5 % en 2005. À compter de 2006, il est proposé
d'imposer les bons en fonction de leur valeur réelle (estimée à 97,5
% environ, compte tenu du différentiel qui existe entre le moment de
leur imposition et le moment où ils sont encaissés).
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se dit victime d'une violation de l'article 26 du Pacte,
au motif que sa rémunération de congés payés a été imposée à 100 % en
1998, alors que celle des salariés ayant reçu des bons vacances n'a
été imposée qu'à 75 %.
3.2 L'auteur précise qu'il n'a pas contesté son avis d'imposition ni
épuisé les voies de recours internes à cet égard, au vu de l'arrêt que
la Cour suprême a rendu le 16 juin 1999 dans une espèce similaire, dans
laquelle la Cour a estimé que le différentiel d'imposition ne constituait
pas une discrimination illicite. Selon l'auteur, les recours internes
qu'il aurait engagés n'avaient aucune chance d'aboutir.
3.3 L'auteur soutient que, bien que sa rémunération de congés payés
ne soit pas identique à celle versée sous forme de bons, la similitude
entre les deux situations est telle qu'elle ne saurait justifier un
traitement inégal. Il fait valoir que depuis la réforme fiscale de 1990
il n'existe aucune distinction pertinente entre les deux systèmes de
rémunération des congés payés. Seul l'écart temporel entre le moment
de l'imposition et celui de l'encaissement dans le cas des bons vacances
constituerait une distinction pertinente, mais on estime qu'il ne représente
que 2 % environ et ne justifie pas une différence de 25 % dans la rémunération
imposable.
3.4 L'auteur fait en outre observer que le groupe de contribuables
ayant droit aux bons vacances est essentiellement composé d'hommes,
et il souligne que le système actuel constitue une distinction indirecte
fondée sur le sexe, interdite par l'article 26.
3.5 En ce qui concerne l'opposition à l'imposition intégrale de la
part des employeurs et des salariés dans les secteurs où les bons vacances
sont utilisés, l'auteur estime qu'elle peut contribuer à expliquer le
retard dans l'instauration de l'égalité de traitement mais ne saurait
justifier qu'un petit groupe de contribuables continue à bénéficier
d'un traitement favorable. Il affirme que des mesures bénéficiant d'un
large soutien dans la société peuvent néanmoins être discriminatoires
et, par conséquent, violer le Pacte. S'agissant de la validité des arguments
avancés par les partenaires sociaux, l'auteur fait valoir que l'abolition
d'un privilège entraîne ipso facto un désavantage financier pour
les personnes qui en bénéficiaient. Un tel argument ne saurait donc
être utilisé pour maintenir des privilèges.
3.6 L'auteur soutient en outre que l'abolition graduelle du privilège
ne se justifie pas dans la mesure où l'État partie a l'obligation inconditionnelle
de sauvegarder les droits substantiels consacrés par le Pacte. Même
si un certain changement graduel après 1990 peut être accepté, on ne
saurait justifier que le différentiel d'imposition demeure inchangé
en 1998, huit ans après que le différentiel dans l'assiette de l'impôt
entre les deux systèmes a été aboli.
3.7 Si le Comité devait décider que les bons vacances et la rémunération
normale de congés payés ne constituent pas des rémunérations similaires
appelant une égalité de traitement, l'auteur fait valoir que le différentiel
d'assiette de 25 % est totalement disproportionné au regard de l'écart
temporel effectif entre les moments de l'imposition, et équivaut donc
à une discrimination.
3.8 Compte tenu de ce qui précède, l'auteur prie le Comité de dire
qu'il a été victime de discrimination et qu'il devrait donc rétroactivement
bénéficier du traitement privilégié accordé à d'autres et être indemnisé
pour l'impôt supplémentaire qu'il a dû acquitter.
Observations de l'État partie
4.1 Dans des observations datées du 23 novembre 2001, l'État partie
mentionne une affaire semblable que le conseil de l'auteur a soumise,
au nom d'un autre client, à la Cour européenne des droits de l'homme
et que celle-ci a déclarée irrecevable le 23 octobre 2000. Selon l'État
partie, les griefs en matière de discrimination dans ladite affaire
sont les mêmes que dans la présente espèce. L'auteur a évoqué l'arrêt
que la Cour suprême a rendu dans cette affaire comme une justification
du non-épuisement des recours internes. L'État partie convient, dans
ce contexte, que l'auteur pouvait raisonnablement s'attendre à ce que
les recours internes ne lui permettent pas d'obtenir satisfaction.
4.2 L'État partie mentionne une lettre datée du 7 septembre 2000 que
le greffier de la Cour européenne des droits de l'homme a adressée au
conseil de l'auteur, dans laquelle il est question des motifs d'irrecevabilité
de l'affaire, et renvoie à la jurisprudence de la Cour de laquelle il
ressort que les États parties disposent d'une large marge d'appréciation
pour mettre en œuvre des politiques économiques et sociales, ainsi
que pour déterminer à quel moment et dans quelle mesure des différences
dans des situations par ailleurs similaires justifient un traitement
différent en droit. Dans son arrêt concluant à l'irrecevabilité de l'affaire,
la Cour a estimé que les griefs invoqués ne révélaient aucune violation
des droits et libertés consacrés dans la Convention européenne.
4.3 L'État partie rappelle qu'il n'a pas émis de réserve au sujet de
l'article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif pour les questions
qui ont déjà été tranchées par la Cour européenne, car il estimait que
la multiplication de telles réserves risquait de compromettre le système
universel de protection des droits de l'homme. L'État partie prie toutefois
le Comité d'éviter de contredire des arrêts d'organes internationaux
de contrôle et de parvenir en conséquence à la même conclusion que la
Cour européenne, à savoir que le principe de non-discrimination n'a
pas été violé. À cet égard, l'État partie soutient que la différence
relative au champ d'application de l'article 14 de la Convention européenne
et de l'article 26 du Pacte n'est pas pertinente en l'espèce, étant
donné que le champ d'application combiné de l'article 14 et de l'article
premier du premier Protocole est comparable à celui de l'article 26
du Pacte.
4.4 S'agissant des faits de la cause, l'État partie indique que dans
le secteur du bâtiment et dans les secteurs apparentés, il est habituel
que les travailleurs ne soient pas payés lorsqu'ils sont en congés.
Ils reçoivent à la place des bons vacances de leurs différents employeurs
pour chaque jour travaillé, qu'ils peuvent encaisser auprès d'un fonds
central durant leurs congés. Aux Pays-Bas, sur les 5 millions de salariés
environ qui perçoivent des prestations de congés, approximativement
330 000 ont droit à des bons vacances. L'auteur se trouve donc dans
la même situation que 93,4 % environ de l'ensemble des salariés qui
reçoivent des prestations de congés.
4.5 L'État partie indique que la différence de traitement s'explique
par le souci d'éviter une situation où ceux qui reçoivent des bons vacances
sont plus lourdement imposés que ceux qui touchent une rémunération
de congés payés. Il fait en outre valoir qu'après que le système d'imposition
a été simplifié en 1990, la valeur des bons vacances a été portée à
75 %. Bien qu'il ait été proposé dès le départ de la porter à 100 %,
on a estimé que cette mesure entraînerait pour les salariés concernés
une baisse de revenus soudaine et importante. Après des consultations,
un taux de 75 % a donc été retenu à titre de compromis temporaire. De
nouvelles consultations ont finalement conduit à l'abolition graduelle
du taux spécial à compter du 1er janvier 2006.
4.6 Sur le fond, l'État partie renvoie à la conclusion de la Cour,
selon laquelle la rémunération de congés payés et les bons vacances
sont des notions distinctes, tant en droit qu'en fait. La Cour suprême
a observé dans son arrêt du 16 juin 1999 que ce n'était pas tant l'existence
des différences qui était contestée que leur importance relative. Elle
en a conclu que l'inégalité de traitement reposait sur une justification
objective et raisonnable, dans la mesure où le Gouvernement avait des
raisons impérieuses d'ordre social, économique et politique pour ne
pas porter immédiatement le taux des bons vacances à leur valeur de
marché. L'État partie précise que la Cour suprême examine expressément
les affaires dont elle est saisie à la lumière des conventions internationales,
parmi lesquelles le Pacte.
4.7 L'État partie réaffirme que d'impérieuses considérations d'ordre
social, économique et politique sous-tendent les régimes fiscaux différents
appliqués aux rémunérations de congés payés et aux bons vacances. Il
reconnaît que la différence de traitement devrait être abolie, mais
soutient qu'il faut agir avec prudence. Il estime que le fait de priver
soudainement des personnes, au nom du principe de l'égalité devant la
loi, de droits qui étaient auparavant incontestés peut être en contradiction
avec d'autres droits de l'homme, en particulier le droit à la protection
de la propriété. Selon l'État partie, ce raisonnement s'applique d'autant
plus en l'espèce que, contrairement à l'auteur, les bénéficiaires des
bons vacances appartiennent à la catégorie salariale la plus basse.
4.8 L'État partie conclut que la communication: a) ne concerne pas
des cas similaires, et b) ne révèle pas un traitement manifestement
disproportionné de cas différents, susceptible d'être qualifié de violation
de l'article 26 du Pacte.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans une lettre du 21 janvier 2002, l'auteur répond aux observations
de l'État partie. Il convient que l'affaire qui a été tranchée par la
Cour européenne est très comparable à la présente communication. Il
soutient toutefois que des décisions de la Cour européenne interprétant
la Convention européenne ne sauraient constituer un élément déterminant
pour l'interprétation du Pacte, dès lors qu'il s'agit de deux traités
distincts, auxquels sont parties des États différents et qui comportent
des mécanismes de contrôle différents.
5.2 En outre, l'auteur fait valoir que la Cour européenne laisse aux
États parties un large pouvoir d'appréciation dans les affaires d'imposition.
Il soutient qu'en appliquant cette approche à l'article 26 du Pacte
on compromettrait le caractère fondamental et général du principe de
non-discrimination. Le critère pertinent sous-jacent à l'article 26
est celui du caractère raisonnable et objectif de la différenciation.
5.3 L'auteur soutient également que des considérations politiques ne
sauraient, en elles-mêmes, constituer une justification raisonnable
et objective pour établir une distinction entre des situations similaires,
distinction qui n'a pas, en elle-même, d'objet raisonnable et légitime.
De l'avis de l'auteur, le fait d'admettre de telles considérations comme
une justification au titre de l'article 26 reviendrait à priver, dans
une large mesure, la clause de non-discrimination de son contenu.
5.4 L'auteur renvoie à sa communication initiale et réaffirme que la
distinction établie en l'espèce est discriminatoire. Il conteste la
conclusion de la Cour suprême, invoquée par l'État partie, selon laquelle
les bons vacances et la rémunération de congés payés ne sauraient refléter
des situations identiques, et il se réfère à cet égard à la proposition
initiale avancée par le Gouvernement en 1990 tendant à imposer les bons
au taux de 100 %. Selon l'auteur, la Cour suprême laisse une trop grande
marge d'appréciation aux autorités publiques pour décider si le traitement
différencié de situations très similaires est justifié. À supposer qu'il
puisse exister une différence pertinente entre les bons vacances et
les rémunérations de congés payés, cette différence est par trop minime
pour justifier une exonération de 25 % des bons vacances, ce qui rend
la différence de traitement disproportionnée et, partant, discriminatoire.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'auteur se déclare victime d'une violation
de l'article 26 par les Pays-Bas en raison de la différence de traitement
qui existe dans l'imposition des rémunérations de congés payés, entre
lui-même et les salariés qui sont rémunérés sous forme de bons vacances.
Le Comité observe en outre que les tribunaux néerlandais ont considéré
que la différence de traitement se fonde sur des différences de droit
et de fait entre les deux formes de rémunération. La plainte de l'auteur
repose sur une appréciation divergente de ces différences.
6.3 Le Comité prend note des raisons avancées par l'État partie pour
expliquer sa décision de relever progressivement l'imposition des bons
vacances. Il considère que l'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité,
le grief de discrimination dont il aurait été victime du fait que, comme
la grande majorité des salariés dans l'État partie, il reçoit une rémunération
pour les congés alors que d'autres, en faible minorité, reçoivent des
bons vacances en raison de la nature de leur travail et que ces bons
continuent d'être imposés plus faiblement que la rémunération des congés.
En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en
vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne le grief de discrimination indirecte (par. 3.4),
le Comité relève que, n'étant pas une femme, l'auteur ne peut pas être
considéré comme victime au sens de l'article premier du Protocole facultatif.
Cette partie de la communication est donc irrecevable conformément à
l'article premier du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier
et de l'article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à
l'auteur.
______________________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans
le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè
Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas
Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell
Yalden.