Comité des droits de l'homme
77ème session
17 mars - 4 avril 2003
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques*
- Soixante-dix-septième session -
Communication No. 980/2001**
Présentée par: |
M. Fazal Hussain |
Au nom de: |
L'auteur |
État partie: |
Maurice |
Date de la communication: |
18 février 1998
(date de la communication initiale) |
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 mars 2003,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication, datée du 18 février 1998, est M. Fazal Hussain,
citoyen indien purgeant actuellement une peine de prison à Maurice. Il se
déclare victime d'une violation par Maurice du paragraphe 3 b), c) et d) et
des paragraphes 5 et 6 de l'article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (le Pacte). Il n'est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 7 juillet 1995, l'auteur a été arrêté à l'aéroport international
Sir Seewoosagur Ramgoolam de Maurice et inculpé «d'importation et de trafic»
d'héroïne. Avant le 15 octobre 1996, l'auteur a été présenté deux fois au
tribunal de district de Mehbourgh (1).
2.2 Le 20 juin 1996, l'auteur a comparu devant la Cour suprême pour être
jugé. Après la lecture par le Président de la Cour suprême des chefs d'accusation
portés contre lui, l'auteur était perturbé car il n'était pas assisté par
un conseil et il ne comprenait pas bien l'anglais. Il a dit qu'il avait
demandé l'aide juridictionnelle et qu'il voulait être assisté d'un interprète.
Pour ces raisons, la Cour suprême a ajourné le procès.
2.3 En septembre 1996, l'auteur a pris personnellement contact avec un
avocat, Me Oozeerally, qui a accepté de commencer à préparer la défense
dès qu'il aurait reçu les copies de la déclaration de l'auteur ainsi que
des autres éléments de preuve. Me Oozeerally a été ensuite désigné avocat
au titre de l'aide judiciaire. L'auteur affirme que son conseil n'a reçu
les documents nécessaires que cinq jours avant le procès.
2.4 Le conseil a recommandé à l'auteur de plaider non coupable mais, après
une journée de procédure, l'auteur a décidé de plaider coupable parce qu'il
était «choqué de voir de quelle façon le procès était conduit». Le 17 octobre
1996, il a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité. Il a immédiatement
indiqué au juge qu'il avait l'intention de faire appel.
2.5 Le 29 octobre 1996, l'auteur a demandé à bénéficier de l'aide juridictionnelle
pour se pourvoir en appel (in forma pauperis), mais sa demande a
été rejetée par le Président de la Cour suprême en raison de l'avis de son
conseil, qui estimait qu'il n'y avait pas matière à recours.
Teneur de la plainte (2)
3.1 L'auteur fait valoir tout d'abord que l'accusation a disposé de 14
mois pour préparer son argumentation alors que son conseil n'a reçu les
informations nécessaires pour préparer sa défense que cinq jours avant le
début du procès. Ainsi, l'auteur n'a pas disposé de suffisamment de temps
pour préparer sa défense.
3.2 L'auteur affirme en outre qu'il a été condamné à l'emprisonnement à
perpétuité par un tribunal composé d'un juge unique et non pas par un jury,
ce qui d'après lui est contraire aux dispositions du Pacte.
3.3 Enfin, l'auteur affirme que le droit de faire appel lui a été dénié
et que l'aide juridictionnelle qui lui aurait permis de présenter un tel
recours lui a été refusée. Il ajoute que c'est en raison de l'avis émis
par le conseil l'ayant représenté au procès que sa demande de recours en
appel in forma pauperis a été rejetée.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
de la communication
4.1 Dans des réponses en date du 13 août 2001 et du 29 janvier 2002, l'État
partie a fait ses observations concernant la recevabilité et le fond de
la communication.
4.2 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l'État partie
affirme que la plainte déposée par l'auteur constitue un abus du droit de
présenter une communication et que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours
internes disponibles dans la mesure où, s'il avait estimé que le droit constitutionnel
à un procès équitable avait été violé, il aurait pu se pourvoir devant la
Cour suprême. En outre, l'auteur pouvait s'adresser à la Commission sur
le droit de grâce pour obtenir un examen de la peine prononcée par la Cour
suprême.
4.3 Pour ce qui est du fond de l'affaire, l'État partie explique qu'à la
première audience, le 20 juin 1996, le procès a été reporté afin que l'auteur
puisse être représenté en justice et assisté d'un interprète. Il est apparu
par la suite que, bien que par souci d'équité les débats aient été traduits
dans sa langue maternelle, l'auteur connaissait l'anglais et n'avait pas
d'objection à ce que la procédure se déroule dans cette langue.
4.4 L'État partie fait observer en outre qu'à aucun stade du procès le
conseil n'a demandé de report d'audience parce qu'il avait besoin de plus
de temps pour préparer sa défense, ce qui, comme il est d'usage dans de
tels cas, lui aurait été accordé par le tribunal.
4.5 De plus, bien que le conseil ait déclaré à un certain moment que la
déposition d'un certain témoin et certaines photographies ne lui avaient
pas été communiquées, il a fait savoir clairement qu'il n'élevait aucune
objection à la recevabilité de la plupart des documents soumis par l'accusation.
Le conseil a en outre déclaré qu'il n'avait pas besoin de temps pour examiner
les documents car il en était donné lecture au tribunal. Enfin, les témoins
qui ont enregistré la déposition et pris les photographies ont été également
entendus par le tribunal, et le conseil aurait pu demander leur contre-interrogatoire.
4.6 En ce qui concerne le droit de faire appel, la législation de l'État
partie prévoit le bénéfice de l'aide juridictionnelle à cette fin. Selon
la procédure prévue dans de tels cas, le dossier est envoyé à un avocat
pour que celui-ci indique s'il existe des motifs raisonnables de recours.
En l'espèce, l'auteur a informé le 17 octobre 1996 le juge de son intention
de faire appel de la décision du tribunal. Les documents nécessaires ont
alors été envoyés au conseil qui, le 5 novembre 1996, a émis une opinion
indiquant qu'il n'y avait pas raisonnablement matière à recours. L'auteur
a été informé de ce fait par le Commissaire des prisons et sa demande d'aide
juridictionnelle a par conséquent été rejetée.
4.7 L'État partie estime que toute l'attention voulue a été accordée à
la demande d'aide juridictionnelle, mais que, étant donné l'opinion émise
par le propre conseil de l'auteur, le tribunal ne pouvait que rejeter sa
demande. Il ajoute que les tribunaux nationaux ont pour habitude de rejeter
les demandes d'aide juridictionnelle dans les affaires de recours en appel
qui sont considérées comme futiles ou abusives. En outre, l'auteur aurait
pu se pourvoir directement devant la Cour suprême, ce qu'il a décidé de
ne pas faire en l'espèce.
Commentaires de l'auteur
5.1 Le 7 mars 2002, l'auteur a répondu aux observations de l'État partie.
5.2 Pour ce qui est du fond de l'affaire, (3) l'auteur rappelle
que son conseil n'a pas disposé de suffisamment de temps pour préparer sa
défense et renvoie à un document présenté par l'État partie, dans lequel
le conseil signalait que les informations ne lui avaient été communiquées
que quelques jours avant le début du procès. À ce sujet, l'auteur dit qu'il
n'est pas en mesure de demander à son conseil la raison pour laquelle il
n'a pas demandé l'ajournement ou le report du procès.
5.3 L'auteur maintient également que le droit de faire appel lui a été
dénié et qu'il n'a jamais demandé au conseil qui le représentait en première
instance de se charger du recours en appel. L'auteur considère qu'un autre
conseil aurait dû être désigné pour la procédure d'appel. Il déclare en
outre qu'il n'a jamais été informé de l'avis de son conseil selon lequel
il n'y avait pas raisonnablement matière à recours de la décision de la
Cour suprême.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, décider si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur, qui déclare que son conseil
n'a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense du fait que le
dossier n'a été communiqué à ce dernier que cinq jours avant la première
audience, ce qui peut soulever des questions au titre du paragraphe 3 b)
et d) de l'article 14 du Pacte, le Comité note qu'il ressort des informations
fournies par les parties que le conseil avait la possibilité de faire interroger
le témoin ainsi que de demander l'ajournement du procès, ce qu'il n'a pas
fait. Le Comité renvoie à ce sujet à sa jurisprudence et réaffirme qu'un
État partie ne peut pas être tenu responsable des agissements d'un avocat
de la défense, à moins qu'il n'ait été ou n'eût dû être manifeste pour le
juge que le comportement de l'avocat était incompatible avec les intérêts
de la justice. (4) En l'espèce, le Comité n'a aucune raison de penser
que le conseil de l'auteur n'a pas agi en toute conscience professionnelle.
De plus, le Comité note que l'auteur a finalement décidé de plaider coupable,
contre l'avis de son conseil. Le Comité estime en conséquence que l'auteur
n'a pas suffisamment étayé son allégation de violation du paragraphe 3 b)
et d) de l'article 14 du Pacte. Cette partie de la communication devrait
donc être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne l'argument de l'auteur qui affirme qu'il a été jugé
non pas par un jury mais par un seul juge, l'auteur n'a pas montré en quoi
il pouvait y avoir là violation du Pacte. Cette partie de la communication
devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole
facultatif.
6.5 Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 c) de l'article
14 du Pacte, le Comité estime que, dans les circonstances de l'espèce, l'auteur
n'a pas suffisamment montré en quoi la période de 11 mois qui s'est écoulée
entre le moment de son arrestation et la date de la première audience de
la Cour suprême pouvait constituer une violation de ces dispositions. Cette
partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu
de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.6 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 6 de l'article
14, le Comité note que l'auteur ne lui a pas fourni d'éléments qui pourraient
soulever des questions au titre de ces dispositions. Cette partie de la
communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
6.7 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur qui affirme que le droit
de faire appel lui a été dénié, ce qui peut soulever des questions au titre
des paragraphes 3 d) et 5 de l'article 14 du Pacte, le Comité note, compte
tenu du fait que l'auteur a plaidé coupable contre l'avis de son conseil,
que l'auteur a demandé l'aide juridictionnelle pour faire appel sans présenter
de motifs de recours ni d'éléments à l'appui de ce recours et que, quand
l'aide juridictionnelle a été refusée, l'auteur ne s'est pas pourvu devant
la Cour suprême pour dénoncer une violation de ses droits constitutionnels.
Le Comité estime que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe
2 de l'article 5 du Pacte pour non-épuisement des recours internes.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2, 3 et 5
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
______________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: Mr. Nisuke Ando, Mr. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
Mr. Alfredo Castillero Hoyos, Ms. Christine Chanet, Mr. Maurice Glèlè Ahanhanzo,
Mr. Walter Kälin, Mr. Ahmed Tawfik Khalil, Mr. Nigel Rodley, Mr. Martin
Scheinin, Mr. Ivan Shearer, Mr. Hipólito Solari Yrigoyen, Ms. Ruth Wedgwood,
Mr. Roman Wieruszewski et Mr. Maxwell Yalden.
** Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Rajsoomer
Lallah n'a pas participé à l'adoption des constatations du Comité.
Notes
1. L'auteur ne donne pas d'informations indiquant si des éléments quelconques
concernant l'affaire ont été évoqués devant le tribunal de district.
2. L'auteur se plaint en général d'une violation du paragraphe 3 b), c) et
d) et des paragraphes 5 et 6 de l'article 14 du Pacte, mais il n'expose pas
séparément ses griefs.
3. L'auteur ne présente aucun argument concernant le fait qu'il n'a pas saisi
la Cour suprême au motif d'une violation de ses droits constitutionnels.
4. Voir notamment la décision du Comité concernant la communication no 536/1993,
Perera c. Australie, déclarée irrecevable le 28 mars 1995.