Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication n° 983/2001 présentée
par MM. John K. Love, William L. Bone, William J. Craig et Peter B. Ivanoff,
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations ci-après:
Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont William L. Bone, William J. Craig,
Peter B. Ivanoff et John K. Love, tous de nationalité australienne, qui affirment
être victimes d'une violation par l'Australie des paragraphes 2 et 3 de l'article
2 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en
vigueur pour l'Australie le 25 décembre 1991.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 27 octobre 1989, le 24 novembre 1989, le 10 janvier 1990 et le 24
mars 1990 respectivement, MM. Ivanoff, Love, Bone et Graig, qui sont tous
des pilotes expérimentés, ont commencé à travailler sous contrat en qualité
de pilotes à bord d'appareils des lignes intérieures de la compagnie Australian
Airlines, rachetée ultérieurement par Qantas Airlines Limited. L'État détenait
alors 100 % du capital d'Australian Airlines, dont la direction était nommée
par les pouvoirs publics. La compagnie a mis fin aux contrats des auteurs
lorsqu'ils ont atteint l'âge de 60 ans, suivant en cela sa politique de
départ obligatoire à la retraite à partir d'un certain âge. Les dates respectives
de départ d'office à la retraite tombaient la veille du jour de leurs 60
ans, soit pour M. Craig le 29 août 1990, M. Ivanoff le 18 septembre 1990,
M. Bone le 12 octobre 1991 et M. Love le 17 mai 1992. Leurs contrats de
travail ne contenaient pas de clause indiquant expressément qu'ils auraient
à partir à la retraite à cet âge ni à aucun autre. Chacun des auteurs était
en possession d'une licence de pilotage en cours de validité, ainsi que
de certificats médicaux, au moment où il a été mis fin à leur contrat. Après
son licenciement, M. Ivanoff a été engagé par une autre compagnie aérienne
comme commandant de bord d'un B 727 et, en 1997, il exerçait les fonctions
d'instructeur sur un simulateur de vol de B 737. (1)
2.2 Dès le 25 décembre 1991, la compagnie aérienne a rejeté les demandes
de négociation de réembauche des auteurs. Le 12 juin 1992, les quatre auteurs
ont déposé une plainte auprès de la Commission australienne des droits de
l'homme et de l'égalité des chances (HREOC) en faisant valoir qu'ils avaient
été victimes de discrimination en raison de leur âge. L'instruction des
plaintes a traîné en longueur, la compagnie refusant, au dire des auteurs,
de prendre part à des négociations ou à une procédure de conciliation et,
peut-être aussi, à cause de rapports médicaux litigieux. Après la reprise,
en 1993, d'Australian Airlines par la compagnie nationale Qantas, celle-ci
a été entièrement privatisée le 31 juillet 1995.
2.3 Le 30 mars 1994, la loi fédérale sur les relations professionnelles
de 1988 a été modifiée: elle interdit désormais tout licenciement motivé
par l'âge. Alors que cet amendement avait été adopté, un certain M. Allman,
lui aussi pilote chez Australian Airlines, a perdu son emploi lorsqu'il
a atteint l'âge de 60 ans. Il a poursuivi la compagnie en justice et, le
18 mars 1995, le tribunal des relations professionnelles s'est prononcé
en sa faveur. M. Allman a alors été réembauché. À compter de cette date,
Qantas (qui avait racheté Australian Airlines) a cessé d'imposer un âge
de départ à la retraite aux pilotes de ses lignes intérieures.
2.4 Le 14 août 1995, le Commissaire aux droits de l'homme (de l'époque)
qui a pour fonction d'enquêter, dans le cadre de la HREOC, sur tout acte
ou pratique susceptible d'être discriminatoire, s'est penché sur les constatations
de ses prédécesseurs qui avaient conclu au caractère discriminatoire du
départ obligatoire à la retraite, et il est parvenu à la même conclusion.
Le 9 novembre 1995, il a diligenté une enquête sur le licenciement des auteurs,
sur la base de communications de Qantas (en qualité de défenseur) et des
auteurs. Le 12 avril 1996, le Commissaire a jugé que l'obligation faite
aux auteurs de partir à la retraite au moment où ils atteignaient l'âge
de 60 ans constituait une discrimination par l'âge en matière d'emploi.
Il a rejeté l'argument selon lequel la limite d'âge de 60 ans était requise
en elle-même pour garantir la sécurité des transports aériens. Il a recommandé
à Qantas: i) de renoncer à la pratique consistant à mettre obligatoirement
ses employés à la retraite du seul fait qu'ils atteignaient l'âge de 60
ans; ii) d'indemniser les auteurs de la perte de salaire que cette pratique
discriminatoire leur avait fait subir; iii) de faire le nécessaire pour
que M. Ivanoff puisse passer le bilan de santé pour les «plus de 60 ans»
et, dans l'hypothèse où M. Ivanoff satisferait à ces exigences et à d'autres
critères de l'Office de l'aviation civile, le réembaucher et, si nécessaire,
le recycler pour qu'il puisse voler sur des appareils équivalents ou pratiquement
équivalents à ceux sur lesquels il volait avant d'être mis d'office à la
retraite. De façon plus générale, il a recommandé au Gouvernement fédéral
de proscrire purement et simplement la discrimination par l'âge au plan
national et, notamment, de supprimer les clauses sur le départ obligatoire
à la retraite de la loi sur le service public de 1922 et d'autres textes
de loi fédéraux.
2.5 La compagnie Qantas, désormais privatisée, a refusé d'avaliser les
conclusions du Commissaire et rejeté la recommandation qui lui avait été
faite d'indemniser les requérants. Le 10 mai 1996, ses conseillers juridiques
ont répondu à la HREOC que, d'une manière générale, la compagnie ne mettait
plus d'office son personnel à la retraite lorsqu'il atteignait l'âge de
60 ans, tout en estimant qu'il n'y avait pas lieu d'accepter les recommandations
de réembauche ou d'indemnisation formulées par la HREOC en l'espèce. La
compagnie a fait observer que sa politique, qui s'inspirait essentiellement
d'un souci de sécurité aérienne, était légitime et que la législation habilitant
la HREOC à formuler des recommandations ne la remettait pas en cause. Elle
a rappelé qu'elle avait bien précisé, pendant les auditions tenues par la
HREOC, qu'elle ne serait pas disposée à accepter des recommandations de
réembauche ou d'indemnisation.
Teneur de la plainte
3. Les auteurs se plaignent de ce que l'Australie a violé leur droit à
la non-discrimination par l'âge consacré à l'article 26, en ne les protégeant
pas d'un licenciement motivé par un critère pourtant interdit. Ils se plaignent
aussi de ce que ce même article 26, qui protège d'une discrimination par
l'âge, a été violé par le refus d'Australian Airlines d'engager des négociations
de réembauche au sujet de M. Ivanoff et par le fait que, depuis le 25 décembre
1991, l'État n'a rien fait pour faciliter de telles négociations. De plus,
ils soutiennent que, quand il s'est produit des violations, l'État partie
est tenu de respecter les recommandations de réparation formulées par sa
propre Commission des droits de l'homme. En réponse aux commentaires de
l'État partie, les auteurs ajoutent que l'article 2 a été violé puisque
l'État partie ne leur a pas garanti de recours utile alors qu'un droit reconnu
par le Pacte avait été violé. (2)
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1 Par des observations datées du 3 janvier 2002, l'État partie a répondu
en contestant et la recevabilité et le fond de la communication.
4.2 En ce qui concerne la plainte de principe que l'État partie n'a pas
donné suite aux recommandations de la HREOC, l'État partie considère que
la plainte tout entière se situe ratione materiae hors du champ d'application
du Pacte, car l'article 26 du Pacte n'exige rien de tel.
4.3 Abordant les recommandations spécifiques de la HREOC tendant i) à ce
qu'il abroge les dispositions relatives au départ obligatoire à la retraite
de la loi sur le service public de 1922 et d'autres textes de loi fédéraux
et ii) à ce qu'il interdise complètement à l'échelon national la discrimination
par l'âge, l'État partie ajoute que l'allégation est irrecevable ratione
personae car les intéressés ne sont pas victimes de ce que l'État partie
n'aurait rien fait dans un cas ni dans l'autre. En effet, pour ce qui est
du point i), les auteurs n'étaient pas employés en vertu de la loi sur le
service public de 1922, aussi aucune modification ou absence de modification
de cette loi ne les aurait touchés. Pour ce qui est du point ii), les auteurs
n'ont pas expliqué en quoi ils étaient touchés par l'absence d'une interdiction
générale de la discrimination par l'âge. Rien n'indique qu'un tel dispositif
législatif aurait pesé sur les décisions de licenciement. Les auteurs n'apportent
pas non plus la preuve qu'ils ont fait l'objet d'une discrimination après
leur licenciement ni n'expliquent comment un tel dispositif l'aurait, le
cas échéant, empêchée.
4.4 Se référant à ces allégations quant au fond, l'État partie déclare
pour ce qui est du point i), que la loi sur le service public de 1999 a
supprimé l'âge de départ obligatoire à la retraite pour les fonctionnaires
du Commonwealth (de la Fédération). Pour ce qui est du point ii), l'État
partie note que la nouvelle législation, qui vise à changer d'anciennes
traditions sociales, ne peut se traduire dans les faits du jour au lendemain.(3)
Il est bon que les États, lorsqu'ils modifient des dispositifs législatifs,
jouissent du temps nécessaire pour appliquer les modifications adoptées
dans le respect des procédures démocratiques et constitutionnelles. L'État
partie a ainsi décidé de mettre en œuvre l'une des principales recommandations
du rapport de 2000 de la HREOC sur les «questions d'âge» en mettant au point
une loi fédérale proscrivant la discrimination par l'âge, en consultation
avec les milieux d'affaires et des groupes communautaires. La rédaction
de ce texte est en cours. L'État partie a aussi aboli le départ obligatoire
à la retraite dans plusieurs secteurs du ressort du Commonwealth (loi sur
le service public de 1999 et loi portant abolition du départ obligatoire
à la retraite (fonctionnaires) de 2001) et se propose d'abolir les clauses
de cette nature applicables aux dirigeants d'entreprises publiques. En 1996,
la loi relative aux relations sur les lieux de travail de 1996, qui remplace
la loi sur les relations industrielles, a interdit les licenciements en
raison de l'âge. Dans les États et territoires, la discrimination est interdite
en ce qui concerne l'emploi, l'éducation et la formation, le logement, les
biens et services et les clubs. L'État partie fait donc valoir qu'il prend
en fait des mesures progressives tendant à éliminer ce type de discrimination.
4.5 Quant à la plainte selon laquelle i) les licenciements d'Australian
Airlines violaient l'article 26, tout comme ii) le fait que l'État n'en
aurait pas protégé les auteurs, l'État partie soutient qu'elle est irrecevable
ratione temporis pour ce qui est de MM. Bone, Craig et Ivanoff. Ces
trois auteurs ont en effet été licenciés avant l'entrée en vigueur du Protocole
facultatif. Ils n'ont pas affirmé non plus qu'ils continuaient de subir
des effets de cette mesure qui, en soi, constitueraient une violation du
Pacte. Pour l'État partie, la conséquence des licenciements - le
fait de ne plus Ûtre employÚ - ne constituait pas en soi une violation
du Pacte car les licenciements Útaient des ÚvÚnements uniques dans le temps.
Toute dÚmonstration faisant valoir des effets persistants en raison du refus
de rÚembaucher les auteurs, pourrait Útablir Úventuellement, pour autant
qu'elle f¹t bien argumentÚe, un nouvel acte, distinct, de discrimination.
4.6 Par ailleurs, l'╔tat partie fait valoir pour ce qui est du point
i) que, comme les licenciements Útaient le fait d'une sociÚtÚ commerciale
plut¶t que des pouvoirs publics, la plainte ne concerne pas un ╔tat
partie, comme le veut l'article premier du Protocole facultatif. L'╔tat
partie renvoie Ó la jurisprudence du ComitÚ selon laquelle les communications
visant des entitÚs autres que les ╔tats sont irrecevables.(4)
L'État partie fait valoir que sa responsabilité pour les actes d'une société
commerciale est fonction des liens qu'il entretient avec elle. Les actes
d'une entité qui ne fait pas formellement partie de la structure de l'État
peuvent constituer malgré tout des actes de l'État si le droit interne habilite
ladite entité à exercer des éléments de la puissance publique (5).
En l'occurrence, s'il est vrai que l'État partie détenait l'ensemble du
capital d'Australian Airlines, entreprise publique du Commonwealth (Commonwealth
Government Business Entreprise ou CGBE), il est tout aussi vrai qu'à
l'époque des licenciements les pouvoirs publics n'intervenaient pas dans
la gestion de ses affaires courantes.
4.7 L'État partie explique que ses relations avec la compagnie aérienne
obéissaient à un ensemble de textes législatifs, conjuguant dispositions
générales d'administration et politique de l'État envers les entreprises
publiques (CGBE). En 1988, la politique a changé, au profit de l'autonomie
et d'une marge de manœuvre accrue de la compagnie aérienne, assorties
d'un contrôle restreint des pouvoirs publics. Suite à l'adoption en 1988
de la loi sur Australian Airlines (transformation en entreprise publique),
le service public a été déchargé des contrôles courants et davantage d'opérations
sont devenues sujettes à des décisions de gestion commerciale dépendant
d'un conseil d'administration aux responsabilités accrues. En tant que telles,
les questions de personnel relevaient de la gestion de la compagnie, sous
la direction de son conseil d'administration et suivant des directives de
caractère général des pouvoirs publics. Société commerciale, la compagnie
était libre de ses actes et n'exerçait aucun attribut de la puissance publique.
En conséquence, s'il y a eu discrimination (ce que l'État partie conteste),
Australian Airlines en est responsable et non l'État partie.
4.8 Quant au fond de la plainte, l'État partie affirme que les licenciements
étaient fondés sur des critères raisonnables et objectifs et ne violaient
pas l'article 26 et, en conséquence, que les auteurs n'avaient pas besoin
d'être protégés contre une telle mesure. Il renvoie à la jurisprudence du
Comité selon laquelle des distinctions fondées sur des motifs raisonnables
et objectifs et visant un but légitime ne sont pas discriminatoires. Il
soutient que, dans un souci de logique et d'équité, il convient de se prononcer
au vu des informations disponibles au moment où la décision incriminée a
été prise. Ainsi, l'apparition ultérieure d'une pratique contraire ne permet
pas de tirer un trait sur une distinction qui était raisonnable et objective
eu égard aux informations d'ordre médical dont la compagnie aérienne disposait
à l'époque.
4.9 L'État partie fait observer que le critère du Comité diffère de celui
appliqué par la HREOC et les tribunaux australiens, à savoir le critère
des «exigences propres» de l'emploi qui justifie une distinction par l'âge
(6). C'est pourquoi les décisions de ces instances locales qui refusent
l'idée qu'un âge particulier constitue une exigence médicale propre ne règlent
pas la question plus vaste de savoir si les licenciements étaient objectivement
et raisonnablement justifiés.
4.10 S'agissant du cas présent, l'État partie fait valoir que les licenciements
étaient justifiés, dans la mesure où ils découlaient d'une norme internationalement
admise, fondée sur des études et des rapports médicaux, adoptée pour assurer
le maximum de sécurité possible aux passagers et aux autres personnes intéressées
par les voyages aériens (but légitime au regard du Pacte). Devant la HREOC,
Qantas a fait valoir que le départ d'office à la retraite était nécessaire
si l'on voulait réduire au minimum le risque pour la sécurité des passagers,
de l'équipage et de la population en général; s'il était vrai que toute
limite d'âge était arbitraire, puisque certains pilotes en pleine possession
de leurs moyens seraient contraints de partir, la limite des 60 ans ménageait
un assez bon équilibre entre l'intérêt des pilotes qui souhaitaient prolonger
leur carrière et la sécurité publique. De même, la décision de la direction
des pilotes d'Australian Airlines d'imposer un départ d'office à la retraite
était fondée sur une coutume établie de longue date et universellement admise
des transports aériens australiens et sur les exigences propres de l'emploi.
4.11 L'État partie soutient que la décision a été prise à la lumière d'études
et de rapports médicaux dont différents articles scientifiques publiés sur
la question faisaient état. (7) Dans l'affaire Christie dont
les tribunaux avaient été saisis, les experts avaient aussi jugé la limite
d'âge «prudente et nécessaire» et justifiée par les données médicales et
opérationnelles. Bien que la HREOC ait admis la conclusion du tribunal dans
l'affaire Christie selon laquelle «aucune des études citées n'étaye
un lien quelconque de cause à effet entre [départ obligatoire à la retraite]
et sécurité aérienne», l'État partie est d'avis que cette conclusion ne
règle pas la question plus vaste des critères raisonnables et objectifs.
Au contraire, les études et les données médicales disponibles à l'époque
des licenciements étaient suffisantes pour donner à penser que le départ
obligatoire à la retraite s'imposait pour des raisons de sécurité et que
les licenciements étaient objectifs et raisonnables.
4.12 De plus, la politique du départ obligatoire à la retraite a été instituée
eu égard aux normes de sécurité internationales établies par l'Organisation
de l'aviation civile internationale (OACI), qui sont censées être d'application
obligatoire et que de nombreux États suivent parce qu'elles s'inscrivent
parmi les meilleures pratiques. On attend des États qu'ils se conforment
aux «normes» et s'emploient à se conformer aux «pratiques recommandées».
La Convention relative à l'aviation civile internationale contient une norme
qui fixe à 60 ans l'âge limite des commandants de bord sur les vols internationaux
et recommande de fixer la même limite d'âge pour les copilotes. Cent soixante-deux
États sur 186 n'ont pas notifié l'OACI qu'ils ne respectaient
pas cette norme. L'État partie en déduit qu'il existe une norme de sécurité
internationale largement admise qui plaide en faveur du caractère raisonnable
et objectif de ces licenciements.
4.13 En 1992, l'État partie a modifié ses règlements de l'aviation civile,
permettant aux pilotes d'avions de ligne de 60 à 65 ans et même au-delà
de voler s'ils avaient passé entre autres un contrôle d'aptitude à voler/examen
de vol respectivement dans les 12 ou 6 mois précédant le vol. Le 3 mars
2000, il a notifié l'OACI qu'il s'écartait de la norme et de la pratique
recommandée. Ainsi, il permet à des pilotes de plus de 60 ans de voler,
tout en reconnaissant qu'un souci de sécurité exige l'adoption de mesures
de précaution. S'il n'accepte plus que le départ d'office à la retraite
à 60 ans soit indispensable en soi pour assurer la sécurité, à l'époque
des licenciements, il était raisonnable et objectif que le départ d'office
à la retraite repose sur cette considération, car à ce moment-là, il ressortait
des rapports médicaux que les risques apparaissaient uniquement après 60
ans. Une telle distinction n'était donc pas contraire à l'article 26 et
l'État partie n'était donc pas tenu de protéger les auteurs de son application.
4.14 Quant à l'allégation selon laquelle le refus d'engager des négociations
de réembauche constituait une discrimination fondée sur l'âge, l'État partie
fait valoir là encore que tout refus de cette nature provenait d'Australian
Airlines, dont il n'était pas responsable. Qui plus est, cette allégation
n'a pas été étayée car les auteurs n'ont fourni aucune information sur ces
prétendus refus et n'ont pas expliqué non plus en quoi ils étaient assimilables
à une discrimination par l'âge. La communication est donc irrecevable également
au titre de ces deux motifs.
Commentaires des auteurs
5.1 Par un courrier daté du 14 mars 2002, les auteurs rejettent les observations
de l'État partie.
5.2 Ils précisent d'emblée qu'ils ne formulent aucune allégation au sujet
de la loi sur le service public de 1922.
5.3 Pour ce qui est de la première allégation, à savoir que l'État partie
n'a pas légiféré pour interdire purement et simplement la discrimination
par l'âge, comme la recommandation de la HREOC l'y invitait, les auteurs
développent leur argumentation. Ils font valoir qu'en ne réagissant pas,
l'État partie viole le Pacte. De plus, comme la HREOC est chargée au premier
chef par ses statuts de protéger les droits consacrés par le Pacte, l'État
partie, en ne donnant pas effet à ses recommandations, lorsqu'elle constate
que ces droits ont été violés, manque aux obligations qui lui sont faites
aux paragraphes 2 et 3 de l'article 2 et à l'article 26 du Pacte. À défaut
et au minimum, il faudrait considérer le fait de ne pas donner suite aux
recommandations de la HREOC comme une preuve de la violation du Pacte.
5.4 Pour ce qui est de la recevabilité de la première allégation, les auteurs
citent le critère des droits auxquels «il est effectivement porté atteinte»
retenu dans l'affaire des Mauriciennes, (8) soutenant qu'ils ne formulent
pas d'allégations abstraites, mais au contraire satisfont à cette condition
pour les raisons suivantes: i) au moment de leur licenciement, il n'existait
pas de loi rendant cette politique illégale et/ou ii) lorsque des actions
ont été engagées le 12 juin 1992, il n'existait pas de loi leur permettant
de contester utilement leur licenciement, et/ou iii) au moment où la HREOC
a publié ses recommandations, il n'existait pas de loi permettant de les
mettre en œuvre et/ou iv), dans le cas de M. Ivanoff, il n'existait
pas de disposition lui permettant d'obtenir réparation pour non-réembauche
à ce moment-là.
5.5 Pour ce qui est de la première allégation quant au fond, les auteurs
invitent le Comité à rejeter les observations de l'État partie faisant état
d'une application progressive dans le temps des recommandations de la HREOC.
Ils font valoir que si le Gouvernement a bien reçu des recommandations tendant
à interdire purement et simplement la discrimination par l'âge au fil des
ans, il n'a donné aucune précision sur l'état d'avancement de la rédaction
d'un «projet portant interdiction de la discrimination par l'âge» ni sur
sa teneur ni sur la question de savoir si et quand il entrera éventuellement
en vigueur. C'est ce qui fait, au dire des auteurs, que leur cas se distingue
de l'affaire Pauger c. Autriche, (9) où des informations
sur le calendrier et la mise en œuvre des textes de loi nécessaires
avaient été fournies. Si le Comité admet que l'État partie prend les mesures
appropriées, les auteurs notent que dans l'affaire Pauger, le Comité
avait considéré que l'État partie reconnaissait implicitement que la plainte
était fondée. De même ici, selon les auteurs, l'État partie n'avait pas
nié que le fait de ne pas interdire purement et simplement la discrimination
par l'âge violait le Pacte. Au contraire, en décrivant les mesures prises
pour remédier à ce manquement, il reconnaît qu'il y a bien eu manquement.
De surcroît, dans l'affaire Pauger, le Comité était d'avis que l'État
partie devait offrir à la victime une voie de recours appropriée en dépit
des mesures prises; les auteurs invitent ici le Comité à faire de même.
5.6 Pour ce qui est de la deuxième allégation (à savoir que l'État partie
a permis le renvoi des auteurs par Australian Airlines pour des raisons
discriminatoires en violation des obligations qui lui étaient faites à l'article
26), i) les auteurs rejettent les arguments de l'État partie sur la recevabilité.
Quant aux arguments d'irrecevabilité ratione temporis avancés dans
le cas des trois auteurs licenciés avant la date de l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif le 25 décembre 1991 («la date pertinente»), ils
font valoir que ces actes de discrimination se sont poursuivis ou ont eu
des effets persistants au-delà de cette date, sur plusieurs plans. En effet,
postérieurement à la date pertinente, a) ils ont été empêchés de travailler
pour leur ancien employeur, en raison de la politique de départ obligatoire
à la retraite; b) ils ont déposé des plaintes auprès de la HREOC; c) la
HREOC s'est prononcée en leur faveur, et d) leur ancien employeur n'a pas
donné suite aux conclusions de la HREOC et, dans le cas de M. Ivanoff, ne
l'a pas réembauché.
5.7 Les auteurs rejettent aussi l'argument d'irrecevabilité ratione
personae par lequel l'État partie affirmait que, comme Australian Airlines
était une société commerciale et une entreprise publique du Commonwealth
(CGBE) à l'époque des licenciements, assujettie aux «dispositions normales
applicables au contrôle, au fonctionnement, aux responsabilités et à l'exécution
des activités de l'entreprise», il n'avait commis aucune violation. Selon
eux, même si des mesures avaient été prises pour donner une certaine indépendance
à la compagnie, sa constitution en société commerciale avait eu lieu conformément
à la loi et le Gouvernement de l'État partie détenait l'ensemble de son
capital. Ils affirment que le Gouvernement était en dernier ressort responsable
des décisions de gestion en sa qualité de seul et unique actionnaire et
était donc directement responsable des licenciements discriminatoires. De
plus, l'État partie était responsable des licenciements, ainsi que des effets
qu'ils avaient eus par la suite faute d'avoir adopté des dispositions législatives
empêchant la discrimination par l'âge.
5.8 Pour ce qui est de la deuxième allégation quant au fond, les auteurs
déclarent que les licenciements n'étaient pas fondés sur des motifs raisonnables
et objectifs et qu'ils violaient par conséquent l'article 26. Ils affirment
que le critère valable est de savoir si, à l'époque des licenciements, la
distinction fondée sur l'âge était objective, raisonnable et légitime au
regard d'un but consacré par le Pacte. Ils soutiennent que ce critère n'est
pas foncièrement différent de celui appliqué par la HREOC et les tribunaux
australiens (10) qui s'étaient penchés sur la question de savoir
si les exigences propres des fonctions de pilote faisaient qu'il fallait
avoir moins de 60 ans pour occuper un tel emploi, et avaient estimé que
tel n'était pas le cas. Les auteurs soutiennent que la HREOC, en rejetant
les observations avancées par Australian Airlines, avait estimé implicitement
que la distinction fondée sur l'âge n'était ni raisonnable ni objective
et que, par conséquent, le Comité n'a pas besoin de réexaminer cette question
depuis le début.
5.9 Les auteurs soulignent qu'un certain nombre des considérations maintenant
avancées par l'État partie en faveur du caractère objectif et raisonnable
de la distinction fondée sur l'âge ont été passées en revue par la HREOC
dans ses conclusions. Elles touchaient notamment à l'idée a) que le principe
du départ obligatoire à la retraite à un certain âge était fondé sur une
norme internationalement admise, b) que des rapports médicaux étayaient
cette politique, c) que cette politique assurait la meilleure sécurité aérienne
possible pour les passagers, d) que la direction des pilotes d'Australian
Airlines imposait un âge de départ obligatoire à la retraite à cause d'une
pratique durablement établie dans cette branche d'activité. Les auteurs
relèvent que l'État partie n'a pas appliqué les normes internationales sur
lesquelles il cherche à se fonder pour justifier sa politique de départ
d'office à la retraite. De fait, l'État partie concède qu'il ne reconnaît
plus l'âge de 60 ans fixé pour le départ d'office à la retraite comme étant
en soi nécessaire pour assurer la sécurité. Les auteurs ajoutent que, d'un
point de vue objectif et raisonnable, pareille mesure n'a d'ailleurs jamais
été nécessaire.
5.10 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie selon lequel le critère
pertinent devrait être la conviction d'Australian Airlines qui, à
l'époque avait jugé les licenciements raisonnables, les auteurs notent que
ce type de critère «subjectif» a été rejeté par la HREOC. Ils estiment que
le critère permettant de justifier la distinction doit être objectif, faute
de quoi un État partie pourrait se contenter d'affirmer sa conviction que
telle ou telle différenciation était raisonnable pour éviter d'être considéré
comme étant en infraction par rapport au Pacte. Ils ajoutent que l'État
partie n'a pas montré en quoi la distinction visait en l'espèce à réaliser
«un but légitime au regard du Pacte», cet élément constituant un élément
supplémentaire du critère «objectif et raisonnable» à satisfaire.
5.11 En tout état de cause, les auteurs tiennent que la décision de la
HREOC était conforme à l'interprétation internationale donnée de la Convention
no 111 concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession
de l'Organisation internationale du Travail (OIT). (11) La Commission
d'experts de l'OIT a fait des observations selon lesquelles les «qualifications
exigées», en l'occurrence une distinction fondée sur l'âge pour un emploi
déterminé, devaient être proportionnelles au but poursuivi et nécessaires
en raison de la nature même de l'emploi considéré. Pour les auteurs, il
faudrait prendre les constatations de la Commission d'experts en considération
pour apprécier le «caractère objectif et raisonnable» de la mesure à la
lumière de l'article 26.
5.12 En bref, les auteurs invitent le Comité à conclure que la distinction
n'était pas fondée sur des motifs objectifs et raisonnables, à accepter
les conclusions de la HREOC ou, s'il souhaitait reconsidérer tous les éléments
de preuve en la matière, à inviter les auteurs à lui fournir de nouveaux
éléments.
5.13 Pour ce qui est de la troisième allégation, à savoir que l'État partie,
en violation du Pacte, n'a pas facilité la tentative faite par M. Ivanoff
de se faire réembaucher, les auteurs rejettent les arguments d'irrecevabilité
de l'État partie. Pour ce qui est des arguments avancés, ils estiment que
la lettre du conseil de la compagnie aérienne à la HREOC, datée du 10 mai
1996, appuie leur allégation car elle montre bien que Qantas, dont la politique
reposait sur la sécurité aérienne et n'était pas illégale, ne réembaucherait
pas M. Ivanoff. Pour ce qui est de l'argument que l'État partie n'avait
commis aucune violation, les auteurs réitèrent leurs arguments ci-dessus
à ce sujet. (12)
Observations supplémentaires de l'État partie
6.1 Par un nouveau courrier du 13 mai 2002, l'État partie a répondu aux
commentaires des auteurs, rappelant ses précédents courriers et formulant
de nouvelles observations.
6.2 S'agissant de l'allégation selon laquelle le fait de ne pas interdire
complètement la discrimination par l'âge violerait l'article 26 (qui vient
s'ajouter à l'allégation de non-respect des recommandations de la HREOC),
l'État partie affirme que, comme les licenciements des auteurs étaient justifiés
par des motifs raisonnables et objectifs et n'étaient donc pas discriminatoires,
la loi n'avait rien à interdire. En conséquence, le fait de ne pas interdire
purement et simplement la discrimination par l'âge ne violait pas en l'espèce
l'article 26.
6.3 L'État partie rejette l'argument du conseil selon lequel il aurait
implicitement admis, en décrivant les mesures prises pour remédier à la
situation, que son refus présumé d'adopter des mesures législatives avait
violé l'article 26. Il réaffirme que les auteurs ne peuvent prétendre que
l'absence de législation les a touchés dans l'abstrait dans la mesure où
aucun acte de discrimination que ce soit n'a été commis à leur encontre.
6.4 L'État partie récuse l'idée que l'adoption de la législation tendant
à interdire la discrimination par l'âge qu'il a dite en cours de rédaction
répond aux conclusions faites par la HREOC en l'espèce. C'est bien plutôt
en réponse aux recommandations formulées tout à fait à part dans le rapport
de la HREOC de juin 2000 sur les «questions d'âge» que le Gouvernement met
incidemment en œuvre la recommandation d'interdire complètement la
discrimination par l'âge. L'État partie souligne qu'il n'adopte pas une
loi portant interdiction générale de la discrimination par l'âge parce qu'il
se considère comme étant en violation avec le Pacte, mais bien plutôt pour
assurer un équilibre entre le besoin d'en finir avec une discrimination
inéquitable fondée sur l'âge et le besoin de se ménager une marge de manœuvre
suffisante pour tenir compte des cas où les conditions d'âge revêtent une
importance particulière.
6.5 Répondant à l'interprétation donnée par le conseil de l'affaire Pauger
c. Autriche, (13) l'État partie fait valoir que comme il n'y
a pas eu violation du Pacte, il n'y a aucune raison pour que les auteurs
aient droit à réparation. En réponse à l'observation du conseil selon laquelle
(contrairement à l'affaire Pauger), l'État partie n'a pas fourni
suffisamment d'informations sur l'état d'avancement du projet de loi portant
interdiction de la discrimination par l'âge, l'État partie déclare qu'il
n'était pas nécessaire d'en donner davantage, puisqu'il n'y a pas eu de
violation du Pacte. Néanmoins, pour aider le Comité, il indique que le Gouvernement
a engagé le processus d'élaboration d'un texte de loi sur la discrimination
par l'âge. Le Gouvernement consulte les milieux d'affaires et les associations
communautaires représentant les personnes âgées, les enfants et les jeunes
avant de prendre, en connaissance de cause, des décisions équilibrées sur
la teneur spécifique du projet. Les autorités compétentes ont procédé aux
travaux préliminaires pour identifier les principaux problèmes en jeu et
les questions qui se posent à propos de la teneur d'un tel texte et il est
probable que le projet de loi couvrira la discrimination par l'âge dans
toutes sortes de domaines de la vie publique, comme l'emploi, l'éducation
et l'accès aux biens, aux services et aux équipements. Le projet de loi
sera présenté pendant le mandat de l'actuel Gouvernement.
6.6 Pour ce qui est de l'assertion selon laquelle le non-respect des recommandations
de la HREOC violerait l'article 2 (outre l'article 26), l'État partie note
qu'il s'agit-là d'une nouvelle allégation formulée tardivement dans le processus
de communication et demande au Comité d'examiner s'il y a lieu d'accepter
des allégations dont il n'était pas question dans la communication initiale.
Le Comité est invité en particulier à constater que cette nouvelle allégation
est sans rapport avec de nouveaux événements ou éléments de preuve et que
par conséquent rien n'empêchait les auteurs de la formuler dans leur communication
initiale. En tout état de cause, selon la jurisprudence constante du Comité,
l'article 2 consacre un droit accessoire qui ne saurait être invoqué indépendamment
d'un autre droit. Comme l'article 26 n'a pas été violé en l'occurrence,
il ne saurait y avoir de violation de l'article 2.
6.7 Pour ce qui est de l'aspect temporel des prétendues violations, l'État
partie rejette l'idée qu'elles aient le moindre effet persistant (pour Craig,
Ivanoff et Bone), qui constitue en soi une violation du Pacte. (14)
De façon plus précise, s'agissant des effets qui continueraient de se faire
sentir au dire des auteurs, l'État partie note que le licenciement des auteurs
a été un événement qui s'est produit une seule et unique fois dans le temps.
Dans l'hypothèse où il y aurait eu violation du Pacte, cette violation se
serait produite au moment du licenciement. Le fait que les auteurs n'aient
pas pu travailler pour leur ancien employeur au-delà de la date de licenciement
n'est pas en soi une violation du Pacte. Qui plus est, avoir le droit de
porter plainte (devant la HREOC) et exercer ce droit n'est pas en soi une
[preuve de la] violation du Pacte, de même que l'adoption (par la HREOC)
de constatations en faveur des auteurs n'est pas en soi une [preuve de la]
violation du Pacte. Enfin, comme le refus de mettre en œuvre les recommandations
d'un organe interne de défense des droits de l'homme n'est pas une violation
du Pacte, ce refus ne saurait constituer un effet persistant car il ne peut
être en soi une violation du Pacte.
6.8 L'État partie fait valoir qu'il n'y a aucune preuve pour étayer l'assertion
du conseil que la HREOC a formé la conclusion implicite que la distinction
faite par Australian Airlines n'était ni objective ni raisonnable. Il poursuit
en déclarant que, même en présence de telles preuves, «le Comité doit se
prononcer lui-même sur la question de savoir si les licenciements des auteurs
étaient objectifs et raisonnables. Le Comité [non la HREOC] est l'organe
habilité par le Pacte à "recevoir et examiner des communications". Il serait
malvenu que le Comité subordonne son pouvoir de décision à un organe national
alors que les États parties ont consenti à ce qu'il exerce son pouvoir de
décision indépendamment des décisions prises par les organes nationaux».
6.9 Quant aux commentaires du conseil sur le caractère subjectif/objectif
du critère à appliquer, l'État partie déclare qu'en se référant à la «conviction»
dans ses observations, il ne voulait pas donner à penser que le Comité devrait
examiner la question de savoir si les licenciements étaient raisonnables
et objectifs au regard de la conviction du décideur. Au contraire, il voulait
demander au Comité d'examiner si les licenciements étaient justifiés par
des critères raisonnables et objectifs. Il ajoute que pour déterminer si
les critères étaient raisonnables et objectifs il faut se reporter aux informations
dont le décideur disposait à l'époque des faits.
6.10 L'État partie fait valoir qu'Australian Airlines a fondé sa décision
de licencier les auteurs sur les critères objectifs et raisonnables dont
la compagnie disposait alors, à la lumière de normes internationalement
acceptées, d'études et de rapports médicaux et du souci de la sécurité des
passagers. Relevant l'observation du conseil selon laquelle l'État n'avait
pas montré en quoi la distinction faite dans le cas des auteurs visait à
réaliser un «but légitime au regard du Pacte», l'État partie renvoie à ses
observations selon lesquelles une mesure adoptée pour assurer les meilleures
conditions de sécurité possibles aux passagers et aux autres personnes touchées
par les voyages aériens représentait un but légitime au regard du Pacte.
Tout simplement, un tel objectif relève de l'article 6 et n'est pas contraire
au Pacte.
6.11 Quant à l'argument du conseil selon lequel la philosophie de la HREOC
allait dans le sens de l'interprétation de la Convention no 111 de l'OIT
et devrait être respectée par le Comité, l'État partie fait valoir que l'interprétation
de la Convention no 111 de l'OIT n'a rien à voir avec l'affaire dont le
Comité est saisi en vertu du Pacte et ne saurait contribuer à son règlement.
6.12 En réponse aux commentaires des auteurs pour qui le critère des «exigences
propres», appliqué entre autres par la Commission d'experts de l'OIT, était
grosso modo analogue au critère du «caractère objectif et raisonnable»,
l'État partie fait valoir qu'il existe des différences sensibles, car demander
si une exigence est ou non nécessaire ne revient pas au même que demander
si une exigence est ou non objective et raisonnable. Une exigence peut ne
pas être nécessaire dans l'absolu, mais peut néanmoins être objective et
raisonnable à la lumière des probabilités en jeu. L'État partie prie le
Comité de suivre sa jurisprudence et d'appliquer le critère du caractère
objectif et raisonnable plutôt que le critère des exigences propres/de la
nécessité.
6.13 En réponse aux commentaires des auteurs selon lesquels l'État partie
n'a pas appliqué les normes internationales qu'il fait valoir pour justifier
sa politique de départ obligatoire à la retraite à un âge donné, l'État
partie note que si la législation australienne ne reprend pas directement
la norme de l'OACI citée, elle n'en respecte pas moins la norme dans le
cas des appareils australiens qui pénètrent dans l'espace d'un pays qui
suit cette norme - ou en sortent.
6.14 En rÚponse Ó la demande adressÚe par les auteurs au ComitÚ l'invitant
Ó demander des informations complÚmentaires s'il dÚcide de revoir tous les
ÚlÚments de preuve en l'espÞce pour se prononcer conformÚment au critÞre
du caractÞre objectif et raisonnable, l'╔tat partie prie le ComitÚ
de noter que les auteurs avaient bien conscience que le ComitÚ pouvait se
prononcer en se fondant sur le critÞre du caractÞre objectif et raisonnable.
Il demande en consÚquence pourquoi les auteurs n'ont pas dÚjÓ soumis les
preuves disponibles Ó l'appui de leurs assertions et retardent l'examen
de la communication en la dÚmontant piÞce par piÞce. L'╔tat partie
est convaincu que la question est prÛte Ó Ûtre examinÚe, mais demande qu'il
lui soit donnÚ la possibilitÚ de rÚpondre si le ComitÚ invite les auteurs
Ó lui soumettre un complÚment d'information.
6.15 Pour ce qui est de l'allÚgation portant sur le refus d'engager des
nÚgociations de rÚembauche, l'╔tat partie maintient qu'aucun ÚlÚment
de preuve n'a ÚtÚ prÚsentÚ indiquant que les dÚcisions de ne pas engager
de nÚgociations de rÚembauche ou de ne pas rÚembaucher M. Ivanoff ont ÚtÚ
prises sur une base autre que celle de considÚrations d'ordre juridique.
En consÚquence cette allÚgation n'est pas fondÚe et donc irrecevable.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité s'est assuré que la même question n'était pas déjà en cours
d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement,
conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Le Comité note aussi que l'État partie n'a pas fait savoir qu'il demeurait
des recours internes à épuiser, aussi n'est-il pas empêché d'examiner la
communication par le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.3 Pour ce qui est des arguments de l'État partie selon lesquels les réclamations
de trois des quatre auteurs (MM. Bone, Craig et Ivanoff) sont irrecevables
ratione temporis, le Comité estime que les actes de discrimination
présumée proprement dits se sont produits, une fois pour toutes, au moment
des licenciements. Le Comité ne considère pas que les effets persistants
de ces actes peuvent constituer en soi des violations du Pacte, ni
que l'on puisse voir dans les refus ultérieurs d'engager des négociations
de réembauche de nouveaux actes de discrimination indépendants des licenciements
eux-mêmes. Par conséquent, les réclamations des trois auteurs susmentionnés
sont irrecevables ratione temporis. Cependant, la réclamation de
M. Love, étant fondée sur son licenciement après l'entrée en vigueur du
Protocole facultatif, n'est pas irrecevable de ce chef.
7.4 Le Comité note les arguments supplémentaires de l'État partie sur la
recevabilité selon lesquels le licenciement de M. Love était, en vérité,
un acte à mettre au compte de la seule Australian Airlines et n'était pas,
selon les règles d'attribution de la responsabilité des États, imputables
à l'État partie, et que de surcroît M. Love ne saurait être considéré comme
étant victime, aux termes du Protocole facultatif de l'absence d'une
interdiction de la discrimination fondée sur l'âge. Le Comité considère
que, vu la nécessité d'examiner scrupuleusement et d'apprécier les faits
particuliers en cause et le droit pertinent en la matière, il convient de
se pencher sur ces arguments au stade de l'examen de la communication quant
au fond, car ils sont intimement liés à l'évaluation de la portée de l'obligation
de respecter et d'assurer l'égale protection de la loi face à un licenciement
discriminatoire, obligation qui incombe à l'État partie en vertu de l'article
26 du Pacte.
7.5 Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle l'État partie serait
directement tenu par le Pacte d'appliquer les conclusions d'organes internes
de défense des droits de l'homme, comme la HREOC, qui ne sont pas exécutoires
au regard du droit interne, le Comité estime que, s'il prêtera dûment attention
aux constatations de ces organes, fondées totalement ou en partie sur les
dispositions du Pacte, en dernière analyse, c'est à lui qu'il appartiendrait
d'interpréter le Pacte de la manière qu'il estime correcte et appropriée.
Le Comité partage l'avis de l'État partie que les États parties ont ratifié
le Protocole facultatif étant entendu que c'est au Comité qu'il appartiendrait
d'exercer son pouvoir de décision en matière d'interprétation du Pacte,
indépendamment des décisions d'organes internes quels qu'ils soient. Par
conséquent, l'idée d'une obligation qui serait faite aux États parties par
le Pacte d'appliquer des constatations non exécutoires d'organes non judiciaires
est incompatible ratione materiae avec le Pacte et cette réclamation
particulière est irrecevable aux termes de l'article 3 du Protocole facultatif.
Examen quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
8.2 La question sur laquelle le Comité doit statuer quant au fond est de
savoir si [l'] [les] auteur[s] [a] [ont] été victime[s] de discrimination,
en violation de l'article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle une distinction n'entraîne pas systématiquement
une discrimination, en violation de l'article 26, mais que des distinctions
peuvent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs, dans la
poursuite d'un but légitime au regard du Pacte. Bien que l'âge ne soit pas
mentionné en tant que tel comme l'un des motifs de discrimination énumérés
dans la deuxième phrase de l'article 26, le Comité est d'avis qu'une distinction
relative à l'âge qui ne repose pas sur des critères raisonnables et objectifs
peut constituer une discrimination fondée sur «une autre situation» au titre
de la disposition en question ou un déni de l'égale protection de la loi
au sens de la première phrase de l'article 26. Cependant, il est loin d'être
évident que l'obligation de partir à la retraite à un certain âge constitue,
dans tous les cas, une discrimination par l'âge. Le Comité prend acte du
fait que des régimes de départ obligatoire à la retraite peuvent être notamment
motivés par le souci de protéger les travailleurs en limitant le temps consacré
au travail dans leur vie, surtout lorsqu'il existe des régimes de sécurité
sociale de grande envergure qui garantissent la subsistance des personnes
qui ont atteint cet âge. Des raisons liées à la politique de l'emploi peuvent
aussi infléchir la législation ou la politique en la matière. Le Comité
note que si l'Organisation internationale du Travail a mis au point un régime
de protection élaboré contre la discrimination dans l'emploi, en revanche,
aucune des Conventions de l'OIT ne semble interdire les dispositions prévoyant
le départ obligatoire à la retraite à un certain âge. Ces considérations
n'exempteront naturellement pas le Comité de la nécessité de s'interroger,
à la lumière de l'article 26 du Pacte, sur le caractère éventuellement discriminatoire
de tel ou tel arrangement particulier prescrivant le départ obligatoire
à la retraite à un âge donné.
8.3 Dans le cas présent, comme le note l'État partie, le but qui est de
garantir les meilleures conditions de sécurité possibles aux passagers,
à l'équipage et aux autres personnes touchées par les transports aériens
était un but légitime au regard du Pacte. Pour ce qui est du caractère raisonnable
et objectif de la distinction faite en fonction de l'âge, le Comité prend
en compte la pratique nationale et internationale, répandue au moment des
licenciements, consistant à imposer un âge de départ obligatoire à la retraite
fixé à 60 ans. Pour justifier la pratique des licenciements suivie à l'époque,
l'État partie s'est référé au régime de l'OACI qui visait et était compris
comme visant à garantir le maximum de sécurité en vol. Dans ces conditions,
le Comité ne saurait conclure que la distinction faite n'était pas, au moment
du licenciement de M. Love, fondée sur des considérations raisonnables.
En conséquence, le Comité ne peut conclure à l'existence d'une violation
de l'article 26.
8.4 À la lumière de la conclusion ci-dessus, selon laquelle, M. Love n'a
pas subi de discrimination en violation de l'article 26, il est inutile
de trancher la question de savoir si le licenciement était directement imputable
à l'État partie ou si la responsabilité de l'État partie serait engagée
du fait qu'il n'a pas empêché une discrimination par une tierce partie.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi ne font apparaître aucune violation de l'article 26 du Pacte.
_______________________________
[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du
Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castllero Hoyos, Mme Christine Chanet, M.
Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed
Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley,
M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman
Wieruszewski et M. Maxwell Yalden. Conformément à l'article 85 du règlement
intérieur du Comité, M. Ivan Shearer n'a pas participé à l'examen de la
communication.
** Le texte de deux opinions individuelles signées par les membres
du Comité ci-après: M. Nisuke Ando et M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
sont joints au présent document.
Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité
(opinion concordante)
Je partage la conclusion figurant dans les constatations de la majorité selon
laquelle le fait d'imposer un départ obligatoire à la retraite à l'âge de
60 ans ne constitue pas une violation de l'article 26. Cela dit, pour les
raisons ci-après, je ne peux souscrire à l'affirmation contenue dans les constatations
selon laquelle «une distinction liée à l'âge … peut constituer une discrimination
fondée sur une "autre situation" en application de la disposition en question,
ou un déni de l'égale protection de la loi au sens de la première phrase de
l'article 26» (par. 8.2):
Premièrement, je considère que l'expression «toute autre situation»
ne s'applique pas à l'«âge» parce que ce critère revêt un caractère distinct
qui le différencie de tous les motifs énumérés à l'article 26. Ces différents
motifs ne sont applicables qu'à un segment déterminé de l'espèce humaine,
aussi large qu'il puisse être. En revanche, l'âge concerne tous les êtres
humains, et en raison de cette spécificité, il constitue un motif pour traiter
différemment une catégorie de personnes sous tous les aspects du régime
du Pacte. Par exemple, en application du paragraphe 5 de l'article 6, il
est interdit d'imposer une sentence de mort à des personnes de moins de
18 ans et le paragraphe 2 de l'article 23 mentionne «l'homme et la femme
à partir de l'âge nubile». En outre, des expressions telles que «tout enfant»
(art. 24) et «tout citoyen» (art. 25) présupposent qu'un certain âge constitue
un motif légitime de distinction entre les personnes. Selon moi, l'expression
«toute autre situation» qui figure à l'article 26 devrait être interprétée
comme se rapportant à la caractéristique qui est commune à tous les motifs
énumérés dans cet article, ce qui exclut l'âge. Il va de soi que cela n'empêche
pas qu'une distinction fondée sur l'«âge» puisse soulever des questions
au titre de l'article 26, mais il découle de l'expression «notamment de»
qui précède l'énumération qu'il n'est pas nécessaire d'inclure l'«âge» dans
«toute autre situation».
Deuxièmement, je doute qu'il soit question dans la présente affaire
«d'un déni de l'égale protection de la loi au sens de la première phrase
de l'article 26». En substance, les auteurs dans la présente affaire affirment
que les «qualifications professionnelles» requises pour être pilote doivent
être jugées en fonction des capacités (aptitudes) physiques et autres de
chaque individu, qu'imposer un âge obligatoire de départ à la retraite c'est
ne faire aucun cas de ce principe et qu'une telle mesure constitue une discrimination
fondée sur l'âge interdite par l'article 26. Cela revient à dire que le
fait de traiter différemment des personnes du même âge n'ayant pas les mêmes
capacités constitue une violation du principe de l'égale protection de la
loi. Or, pour pouvoir exercer une profession, il est généralement nécessaire
d'avoir un certain âge, même si une personne qui n'a pas encore atteint
l'âge en question peut fort bien avoir les aptitudes requises pour exercer
ladite profession. En d'autres termes, il y a généralement un âge minimum
et un âge maximum pour l'exercice d'une profession et ces exigences sont
sans rapport avec le principe de l'égale protection de la loi.
Troisièmement, selon moi, il est question dans la présente affaire
du «droit au travail» et des «restrictions légitimes» dont il peut faire
l'objet en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (par. 1 de l'article 6 et art. 4, respectivement).
Ce qui est donc en cause, c'est le juste équilibre entre un droit économique
ou social et les limitations qui s'y rapportent. Bien sûr, l'article 26
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit
la discrimination de jure ou de facto dans tout domaine réglementé
et protégé par les pouvoirs publics, et il s'applique par conséquent aussi
aux droits économiques ou sociaux. Néanmoins, comme c'est le cas dans la
présente affaire, les limitations à l'exercice de certains droits économiques
ou sociaux, en particulier le droit au travail ou à une pension ou à la
sécurité sociale, nécessitent un examen minutieux de différents facteurs
économiques et sociaux pour lesquels l'État partie concerné est généralement
le mieux placé pour procéder à une évaluation objective et raisonnable et
opérer les ajustements nécessaires. Cela signifie que le Comité des droits
de l'homme devrait respecter les restrictions à ces droits fixées par l'État
partie concerné à moins qu'elles ne soient manifestement entachées d'irrégularités
de procédure injustes ou qu'elles n'entraînent manifestement des résultats
inéquitables.
(Signé) Nisuke Ando
[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement
en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée
générale.]
Opinion individuelle de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
(opinion concordante)
La question qui se pose est de savoir si le fait d'imposer un départ obligatoire
à la retraite à l'âge de 60 ans pour les pilotes de ligne peut être considéré
comme une violation de l'article 26 du Pacte. L'article 26 n'interdit pas
explicitement la discrimination en fonction de l'âge, lequel ne figure pas
parmi les motifs prohibés de discrimination qui y sont énoncés. L'article
26 n'est donc pas applicable en l'espèce: voilà l'un des arguments qui pourrait
être avancé.
Cet argument, aussi plausible qu'il puisse paraître, n'est à mon avis
pas acceptable. Il y a à cela deux très bonnes raisons.
Tout d'abord, l'article 26 consacre la garantie de l'égalité devant la
loi et de la non-discrimination. Il s'agit là d'une garantie contre tout
arbitraire dans l'action de l'État. L'égalité est l'antithèse de l'arbitraire.
L'article 26 vise donc à lutter contre d'éventuelles mesures arbitraires
d'un État. Cela étant, on ne peut pas qualifier d'arbitraire le fait de
fixer l'âge de départ à la retraite à 60 ans pour les pilotes de ligne.
L'on n'est pas dans le cas où un âge aurait été arbitrairement choisi par
l'État partie. Il n'est pas singulier que l'âge de départ en retraite des
pilotes de ligne soit fixé à 60 ans dans un grand nombre de pays, dans la
mesure où il n'est pas déraisonnable de penser que c'est l'âge à partir
duquel le temps peut faire sentir ses effets sur les pilotes de ligne, en
particulier si l'on tient compte du fait que le pilotage des avions dont
ils ont la responsabilité demande énormément d'énergie, de vigilance, de
concentration et de présence d'esprit. Je ne pense pas que le fait de choisir
l'âge de 60 ans comme âge obligatoire de départ en retraite pour des pilotes
de ligne puisse être qualifié d'arbitraire ou de déraisonnable au point
de constituer une violation de l'article 26.
Ensuite, le terme «notamment» précédant les motifs de discrimination énoncés
au paragraphe 26 indique clairement qu'il s'agit d'une énumération non exhaustive
d'exemples. L'âge n'est donc pas exclu des motifs de discrimination prohibés.
Par ailleurs, le mot «situation» peut être interprété comme comprenant l'âge.
On est donc fondé à dire que, s'il y avait discrimination en raison de l'âge,
l'article 26 serait applicable. Reste qu'il faut qu'il y ait discrimination.
Or, toute différenciation n'est pas nécessairement synonyme de discrimination.
Une différenciation qui serait fondée sur un critère objectif et raisonnable
ayant un rapport logique avec l'objectif recherché ne relèverait pas de
l'article 26. En l'espèce et pour les raisons exposées au paragraphe ci-dessus,
imposer l'âge de 60 ans comme âge de départ obligatoire à la retraite pour
les pilotes de ligne ne pouvait pas être considéré comme arbitraire ou déraisonnable,
compte tenu de la nécessité d'assurer une sécurité maximale, et ne saurait
par conséquent constituer une violation de l'article 26.
(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement
en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée
générale.]
Notes
1. Aucune précision n'est donnée sur les activités professionnelles dans
lesquelles les autres auteurs auraient pu se lancer.
2. Voir infra, par. 5.3.
3. L'État partie renvoie à des observations similaires faites par l'État
partie dans Pauger c. Autriche (communication no 415/1990),
constatations adoptées le 26 mars 1992.
4. F. G. G. c. Pays-Bas (communication no 209/1986, décision
adoptée le 25 mars 1987) et BdB c. Pays-bas (communication
no 273/1989, décision adoptée le 30 mars 1989).
5. Shaw, M.: International Law (4e éd.) (1997), p. 548 et 549; Brownlie,
I.: Principles of Public International Law (5e éd.), p. 449.
6. JB Christie c. Qantas Airways Ltd (1995) AILR 38; Qantas
Airways Ltd c. Christie (1998) 193 CLR 280.
7. On trouvera un résumé des études mentionnées par l'État partie [Kulak
et cons., «Epidemiological Study of In-Flight Airline Pilot Incapacitation»
(1971); Booze, «An Epidemiological Investigation of Occupation, Age and
Exposure in General Aviation Accidents» (1977); National Institutes of Health,
«Report of the National Institute on Aging Panel on the Experienced Pilots
Study» (1981); Golaszewski, «The Influence of Total Flight Time, Recent
Flight Time and Age on Pilot Accident Rates» (1983), et Office of Technology
Assessment of the United States Congress, «Medical Risk Assessment and the
Age 60 Rule for Airline Pilots» (1990)] dans le rapport de la HREOC.
8. Aumeeruddy-Cziffra et cons. c. Maurice (communication
no 35/1978, constatations adoptées le 9 avril 1981).
9.Op. cit.
10. Christie c. Qantas Airways Ltd [1995] AILR 1 623 (3-134).
11. Aux termes du paragraphe 2 de l'article premier de la Convention, «Les
distinctions, exclusions ou préférences fondées sur les qualifications exigées
pour un emploi déterminé ne sont pas considérées comme des discriminations.».
12. Voir supra, par. 5.7.
13. Op. cit.
14. M. A. c. Italie (communication no 117/1981), décision
adoptée le 10 avril 1984.