Présentée par: Shukuru Juma
Au nom de: L'auteur
État partie: Australie
Date de la communication: 19 février 2001 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 juillet 2003,
Adopte la décision ci-après:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. L'auteur de la communication est Shukuru Juma, de nationalité australienne,
né en Tanzanie, qui exécute actuellement une peine d'emprisonnement à perpétuité
au centre pénitentiaire de Wolston, au Queensland (Australie). Il se déclare
victime de violations par l'Australie des paragraphes 3 f) et 5 de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n'est
pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 2 février 1997, l'auteur a été arrêté et conduit au poste de police
de Dutton où il a été accusé de meurtre. Le 25 novembre 1998, il a été reconnu
coupable de meurtre et, le 26 novembre 1998, il a été condamné à une peine
d'emprisonnement à perpétuité. Il a fait appel de sa condamnation et a demandé
une prolongation du délai de présentation de son recours devant la Cour
d'appel. Son recours en appel et sa demande de prolongation du délai ont
tous deux été rejetés le 16 juillet 1999. L'auteur a alors demandé à la
Haute Cour d'Australie une autorisation spéciale de recourir. Le 24 novembre
2000, la Haute Cour a rejeté sa requête.
2.2 Entre le moment de son arrestation et son recours final en appel, l'auteur
n'a pas pu bénéficier des services d'un interprète, bien qu'il en ait fait
la demande à chaque étape de la procédure. Il dit qu'il avait sollicité
l'assistance d'un interprète avant d'être interrogé par la police, et qu'il
avait demandé à son avocat d'interpréter au cours du procès en première
instance. Au cours de l'audience devant la Cour d'appel, l'auteur a été
informé qu'il pouvait recourir aux services d'un interprète par téléphone.
Toutefois, l'auteur a refusé ce service car l'interprète ne se trouvait
pas dans la salle d'audience et il estimait qu'il ne pouvait pas lui faire
confiance. Il déclare qu'il a refusé de parler à l'interprète car «la police
(l')avait forcé à donner contre (son) gré un enregistrement de l'interrogatoire
et (il a) été agressé par … [un inspecteur] de la police du Queensland».
(1)
2.3 Dans sa demande d'autorisation spéciale d'introduire un recours auprès
de la Haute Cour, l'auteur a affirmé qu'il avait été «forcé» d'accepter
un avocat commis d'office, qui n'avait été chargé de son affaire que le
matin même du procès en appel et ne la connaissait donc pas. En outre, l'avocat
a refusé d'aborder les points de droit soulevés dans la demande établie
par l'auteur. Celui-ci soutient également qu'au cours de l'audience, l'un
des juges a demandé à trois reprises où se trouvait l'interprète, mais son
conseil a simplement répondu qu'il connaissait l'affaire.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur déclare que l'État partie a violé son droit à un «procès juste
et équitable». Il fait valoir en particulier que sa première langue étant
le swahili et l'anglais n'étant que sa quatrième langue, il n'a pas pu comprendre
ce qui se passait lors des audiences du tribunal ni saisir les complexités
de la procédure judiciaire. Ne comprenant pas ce qui se disait au cours
de la procédure, il a répondu par l'affirmative aux questions posées. Il
affirme que, ne lui ayant pas fourni l'assistance d'un interprète, l'État
partie a violé le paragraphe 3 f) de l'article 14 du Pacte.
3.2 L'auteur soutient également que l'État partie a violé le paragraphe
5 de l'article 14 du Pacte, mais ne précise pas davantage la raison pour
laquelle il estime que ses droits à cet égard ont été violés.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
de la communication
4.1 Dans une note verbale du 21 décembre 2001, l'État partie formule ses
observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il donne
la version ci-après des faits, depuis l'arrestation de l'auteur jusqu'à
son recours en appel. L'auteur est né en Tanzanie et est arrivé en Australie
en 1989. Sa première langue est le swahili.
Détention avant jugement et interrogatoire
4.2 L'infraction a été commise le 1er février 1997. L'auteur a été interrogé
dans la soirée du même jour par l'inspecteur de police judiciaire et a été
informé de l'ouverture de l'enquête sur le meurtre de M. M. Il a été placé
en garde à vue pendant la nuit. Le lendemain matin, il a été interrogé par
le même inspecteur qui a effectué un enregistrement officiel de l'interrogatoire.
(2) L'auteur n'a pas sollicité l'assistance d'un interprète au cours
de l'interrogatoire et les enquêteurs n'ont pas estimé qu'une telle assistance
était nécessaire. Il a été formellement inculpé du meurtre de M. M. le 2
février 1997 et placé en détention provisoire le 7 février 1997.(3)
Procès et déclaration de culpabilité
4.3 Le procès initial a débuté en juillet 1998, mais son déroulement a
été interrompu pour cause de maladie du conseil du coaccusé. Le deuxième
procès a débuté le 9 novembre 1998 devant la Cour suprême du Queensland.
L'auteur a bénéficié d'une représentation judiciaire gratuite. Lors du procès,
il a témoigné en personne. Aucune demande n'a été adressée au juge du fond
en vue d'obtenir l'assistance d'un interprète et la question n'a jamais
été posée devant la Cour. Le jury a entendu l'enregistrement de l'interrogatoire
du 2 février 1997 (mené le lendemain du meurtre). L'auteur a été reconnu
coupable de meurtre le 25 novembre 1998.
Appel
4.4 L'auteur a demandé à la Cour suprême du Queensland l'autorisation de
faire appel de sa condamnation auprès de la Cour d'appel, au motif qu'elle
était inéquitable. Aucune précision détaillée n'a été donnée. L'auteur a
assuré sa propre défense en appel. La Cour d'appel a pris des dispositions
pour qu'un interprète puisse intervenir par téléphone depuis Sydney, mais
l'auteur a refusé cette offre. Le recours en appel de la condamnation a
été unanimement rejeté par la Cour d'appel le 16 juillet 1999.(4)
Une demande de prolongation du délai de dépôt de la demande d'autorisation
de faire appel de la peine prononcée a été rejetée. À propos de l'argument
selon lequel l'auteur n'avait pas bénéficié des services d'un interprète
lors de l'audience et avait éprouvé des difficultés à la fois à saisir pleinement
l'argumentation du ministère public et à donner son propre témoignage, la
Cour d'appel a estimé qu'il n'existait pas de fondement raisonnable à l'appui
du recours en appel.
4.5 L'auteur a ensuite demandé l'autorisation de recourir auprès de la
Haute Cour d'Australie (5) , déclarant qu'il avait été victime d'un
déni de justice car il n'avait pas été en mesure de suivre pleinement le
procès à l'issue duquel il avait été reconnu coupable de meurtre. Le 24
novembre 2000, la Haute Cour a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité
5.1 L'État partie déclare que l'allégation de violation du paragraphe 3
f) de l'article 14 est irrecevable car elle est incompatible ratione
materiae avec le Pacte et n'a pas été suffisamment étayée. De l'avis
de l'État partie, l'auteur se plaint essentiellement de n'avoir pas pu parler
sa propre langue, le swahili, au cours de l'enquête de police et devant
le tribunal, bien que l'enregistrement de l'interrogatoire et les comptes
rendus d'audience indiquent qu'il pouvait s'exprimer correctement dans la
langue officielle du tribunal. Selon l'État partie, la notion de «procès
équitable» avancée par l'auteur, au sens de l'article 14 du Pacte, signifie
que l'on a le droit, lors d'un procès pénal, d'employer la langue dans laquelle
on s'exprime normalement et que le refus d'accorder les services d'un interprète
dans de telles conditions constitue une violation du paragraphe 3 f) de
l'article 14.
5.2 L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle les
dispositions de l'article 14 ne supposent nullement que l'on a le droit
de demander que la procédure se déroule dans la langue de son choix ou d'employer
la langue dans laquelle on s'exprime normalement. S'ils maîtrisent suffisamment
la langue officielle employée à l'audience, les membres d'une minorité linguistique
ou les étrangers n'ont pas le droit d'être assistés gratuitement d'un interprète.(6)
L'État partie déclare que l'auteur n'a pas établi qu'il ne pouvait pas communiquer
avec les fonctionnaires de police et les membres du tribunal dans un anglais
rudimentaire mais convenable et qu'en conséquence il ne pouvait assurer
sa défense sans interprétation.
5.3 Par ailleurs, l'État partie fait observer que la communication ne contient
aucun élément étayant l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'était
pas en mesure de communiquer avec les inspecteurs de police ou les membres
du tribunal dans un anglais convenable. Pour ce qui est de l'enregistrement
de l'interrogatoire, l'État partie souligne que l'inspecteur de police judiciaire
a demandé à l'auteur s'il comprenait les questions qui lui étaient posées
et s'il était ou non à même d'y apporter des réponses effectives. Dans chaque
cas, l'auteur a affirmé qu'il comprenait l'anglais et qu'il pouvait communiquer
en anglais.
5.4 Pour ce qui est de la conduite des audiences devant la Cour suprême,
l'État partie note que les comptes rendus indiquent que ni l'auteur ni son
avocat n'ont sollicité la présence d'un interprète. Les comptes rendus révèlent
que l'auteur comprenait les questions qui lui étaient posées et pouvait
se faire comprendre. Les défenseurs de l'auteur lors du procès et devant
la Haute Cour ont estimé que ce dernier pouvait communiquer suffisamment
bien en anglais. À aucun stade de la procédure l'auteur ou son conseil n'ont
demandé une suspension au motif que l'auteur ne comprenait pas ce qui se
disait. L'État partie rappelle que l'auteur lui-même a fait des dépositions
lors du procès sans l'aide d'un interprète et s'est également défendu lui-même
en appel, refusant les services d'un interprète. Lorsqu'elle a rejeté le
recours de l'auteur, la Cour d'appel a estimé qu'il n'avait pas été prouvé,
en première instance ou en appel, que l'auteur ne pouvait pas communiquer
en anglais ou comprendre l'anglais. L'État partie a noté l'observation de
la Cour selon laquelle le conseil de l'auteur n'avait pas estimé nécessaire
de recourir à un interprète pour recevoir les instructions voulues ni de
requérir l'assistance d'un interprète lors du procès. Fait encore plus probant
de l'avis de l'État partie, l'auteur a refusé l'offre qui lui avait été
faite de s'adresser à la Cour en swahili en utilisant les services d'un
interprète (la Cour ayant pris des dispositions à cet effet). L'État partie
ajoute que les juges de la Cour d'appel qui ont entendu l'auteur en personne
lors de son recours ont déclaré qu'ils comprenaient ses déclarations.
5.5 De même, l'État partie rappelle la décision de la Haute Cour, qui a
conclu que l'allégation selon laquelle l'auteur s'est vu refuser les services
d'un interprète pendant l'ensemble de la procédure n'était pas suffisamment
fondée pour faire douter de la validité de la condamnation et faire droit
à la demande d'autorisation spéciale. Il fait en outre observer que la Cour
n'a pas été persuadée que l'anglais n'était que la quatrième langue de l'auteur,
comme celui-ci l'avait affirmé, étant donné que l'auteur était originaire
de Tanzanie, pays où l'anglais est largement pratiqué. L'État partie rappelle
l'observation de la Cour selon laquelle l'auteur avait vécu en Australie
pendant plusieurs années avant sa condamnation et qu'aucune demande n'avait
été formulée par le demandeur ou son conseil lors du procès en vue d'obtenir
les services d'un interprète. De plus, la Haute Cour a relevé que les juges
de la Cour d'appel qui avaient entendu le demandeur lui-même lors de l'audience
en appel avaient affirmé qu'ils comprenaient ses déclarations.
5.6 S'agissant de l'allégation selon laquelle l'auteur aurait été agressé
par un inspecteur de police judiciaire et forcé de participer à un enregistrement
de l'interrogatoire, l'État partie considère que l'auteur ne formule pas
une réclamation distincte à cet égard, mais justifie son refus d'accepter
les services d'un interprète désigné par le tribunal. Toutefois, l'État
partie estime que, dans la mesure où ces allégations soulèvent la question
de la violation des dispositions du paragraphe 3 g) de l'article 14, de
l'article 7 et/ou du paragraphe 1 de l'article 10, l'auteur n'a pas épuisé
les recours internes disponibles pour en démontrer le bien-fondé, et qu'en
conséquence sa plainte est irrecevable.
5.7 Dans l'autre éventualité, l'État partie déclare que l'auteur n'a pas
apporté suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de son allégation et
qu'en conséquence le Comité devrait la déclarer irrecevable au motif qu'elle
n'a pas été étayée. L'État partie fournit le rapport de l'inspecteur de
police judiciaire pour réfuter les allégations de contrainte et d'agression.(7)
5.8 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article
14, l'État partie fait valoir que l'auteur ne précisant pas la raison sur
laquelle il se fonde pour dénoncer une violation de ces dispositions, les
allégations de l'auteur à cet égard sont irrecevables car incompatibles
avec lesdites dispositions et, en outre, que l'auteur n'a pas étayé sa plainte.
5.9 L'État partie note que le Comité a examiné la question de l'application
du paragraphe 5 de l'article 14 aux systèmes juridiques internes et a reconnu
que l'expression «conformément à la loi» signifiait que les États étaient
en droit de réglementer les modalités internes de l'exercice du droit de
recours, sous réserve que la réglementation ainsi adoptée n'empêche pas
l'accès effectif à la justice (8). L'État partie affirme que «la
réglementation du nombre de recours dont peut connaître la Haute Cour n'empêche
pas l'accès effectif à cette juridiction par des requérants qui contestent
les décisions des juridictions inférieures» (9). Il déclare qu'il
réglemente l'exercice du droit de recours par la Haute Cour en exigeant
des requérants qu'ils obtiennent une autorisation spéciale de faire appel.
Pour statuer sur la demande d'autorisation spéciale de faire appel, «la
Haute Cour peut prendre en considération toute question qu'elle estime entrer
en ligne de compte, mais elle devra déterminer si: a) la procédure à l'issue
de laquelle la décision visée dans la demande a été rendue implique une
question de droit: 1. qui soit d'importance pour le public en raison de
son application générale ou pour d'autres raisons ou, 2. à propos de laquelle
une décision de la Haute Cour, en tant que juridiction de dernière instance,
doit être rendue pour résoudre les divergences d'opinion entre différentes
juridictions, ou au sein d'une même juridiction, concernant l'état du droit;
et b) l'intérêt de l'administration de la justice, soit de façon générale
soit dans le cas d'espèce, exige un examen par la Haute Cour de la décision
visée dans la demande. Outre ces facteurs impératifs, la Haute Cour examinera
les questions de savoir si la décision dont il est fait appel est justifiée
ou n'est pas raisonnablement discutable, s'il est peu probable que le recours
en appel aboutisse, si le recours envisagé ne porte que sur des questions
de fait, si le recours envisagé n'est pas un moyen approprié pour conduire
à une décision sur le point contesté et s'il existe une véritable possibilité
de déni de justice. L'État partie souligne que la question de la conformité
de cette disposition avec la protection garantie au paragraphe 5 de l'article
14 a été précédemment examinée par le Comité dans l'affaire Pereira
c. Australie (10), dans laquelle le Comité a rappelé que le
paragraphe 5 de l'article 14 n'exigeait pas qu'une cour d'appel «réexamine
les faits de la cause, mais simplement qu'elle procède à une évaluation
des éléments de preuve présentés au procès et de la façon dont celui-ci
s'est déroulé».
5.10 L'État partie ajoute que la Haute Cour est l'instance la plus appropriée
pour décider s'il existe des motifs suffisants pour accorder une autorisation
spéciale de faire appel et, en particulier, si les circonstances d'une affaire
donnée sont telles qu'elles justifient le recours à tous les moyens dont
dispose la Haute Cour. Dans la mesure où l'examen de la communication de
l'auteur supposerait que le Comité évalue le bien-fondé de la décision de
la Haute Cour quant au fond, plutôt que du point de vue procédural, l'État
partie déclare que le Comité, en agissant ainsi, excéderait ses propres
fonctions en vertu du Protocole facultatif. À cet égard, il renvoie à la
jurisprudence du Comité. (11)
5.11 L'État partie se réfère à la jurisprudence du Comité, selon laquelle
les États parties ne sauraient pas être tenus responsables des décisions
que les avocats peuvent prendre dans l'exercice de leurs compétences professionnelles,
à moins que le conseil n'ait manifestement agi dans un sens contraire aux
intérêts de son client (/12). Pour ce qui est de l'allégation selon
laquelle l'auteur n'aurait pas eu droit à un recours effectif en appel étant
donné que la Haute Cour n'avait pas procédé au contre-interrogatoire des
témoins et que le conseil n'avait pas fait valoir de motif(s) approprié(s)
d'appel, le Comité a estimé que les allégations de ce type n'allaient pas
en elles-mêmes à l'appui de l'affirmation selon laquelle l'auteur n'avait
pas eu droit à ce que sa condamnation soit réexaminée par une juridiction
supérieure conformément à la loi. (13)
5.12 Pour ce qui est du caractère approprié de la procédure de recours
dont l'auteur a pu bénéficier, l'État partie déclare que le rejet de la
demande d'autorisation spéciale de faire appel par la Haute Cour ne peut
pas, en lui-même, être la preuve que l'auteur n'a pas bénéficié d'un droit
de recours approprié et suffisant. L'État partie déclare que le fait de
limiter les recours en appel aux points de droit ne soulève pas de difficulté.
Bien que le fait de ne soulever aucune question de droit dans un recours
en appel constitue un facteur pouvant inciter la Haute Cour à rejeter une
demande d'autorisation spéciale dans une affaire donnée, les demandes d'autorisation
spéciale de recourir devant la Haute Cour ne sont pas nécessairement fondées
exclusivement sur des points de droit. De même, le fait que la Haute Cour
respecte en général les constatations de fait des juridictions inférieures
ne signifie pas qu'elle ne les examinera pas si le cas d'espèce l'exige.
Le motif reconnu pour accorder une autorisation spéciale de faire appel,
à savoir une «possibilité réelle de déni de justice», signifie que la Haute
Cour apprécie les faits si l'affaire l'exige.(14)
5.13 L'État partie affirme qu'aucune question ne se pose quant au fait
que l'auteur se serait vu refuser «l'accès effectif» à la Haute Cour. Il
déclare que l'auteur a eu accès aux motifs du jugement dont il a fait appel,
qu'il a disposé de suffisamment de temps pour préparer son appel, qu'il
a eu accès à un conseil et qu'il a eu le droit de faire des déclarations
à la Cour, droit dont il s'est prévalu.
5.14 Selon l'État partie, l'allégation de l'auteur, qui se plaint d'avoir
été «forcé» par le greffier de la Haute Cour d'accepter l'assistance d'un
avocat qui ne connaissait pas les détails de son affaire et qui a refusé
de s'appuyer sur les points de droit soulevés dans sa requête, se rattache
au prétendu non-respect du droit de recours, et ne constitue pas une allégation
distincte. Toutefois, dans la mesure où cette plainte soulève des questions
au titre du paragraphe 3 d) et b) de l'article 14 concernant la préparation
de la défense, l'État partie estime que la plainte est incompatible ratione
materiae avec les dispositions du Pacte et est donc irrecevable.
5.15 L'État partie réfute l'allégation selon laquelle le greffier de la
Haute Cour aurait forcé l'auteur à accepter l'assistance d'un conseil. En
réalité, l'auteur a préféré accepter les services à titre gracieux d'un
conseil plutôt que de se défendre lui-même (15). L'État partie ajoute
qu'en tout état de cause, le droit de l'accusé de choisir son propre avocat
n'est pas absolu.
Sur le fond
5.16 S'agissant de l'allégation de violation du paragraphe 3 f) de l'article
14, l'État partie réitère les arguments qu'il a exposés concernant la recevabilité
de la communication. Il renvoie à l'allégation de l'auteur qui a déclaré
que «le juge de la Haute Cour a demandé par trois fois où se trouvait l'interprète
et l'avocat a dit qu'il connaissait l'affaire [sic]» et affirme que,
contrairement à cette allégation, le compte rendu concernant la demande
d'autorisation spéciale de recourir devant la Haute Cour indique que le
juge a simplement demandé à un moment si le requérant était ou non assisté
d'un interprète. Le juge a été informé par le défendeur que la Cour avait
pris des dispositions pour qu'un interprète puisse fournir ses services
par téléphone si nécessaire, mais le conseil de l'auteur a estimé qu'il
avait reçu suffisamment d'instructions pour être en mesure d'exposer l'affaire
devant la Cour. Ayant considéré cette réponse satisfaisante, la Haute Cour
a réexaminé la demande de l'auteur d'autorisation de faire appel et l'a
finalement rejetée.
5.17 Bien que la législation australienne ne donne pas à chacun le droit
de parler sa propre langue dans les instances judiciaires (ce qui, selon
le Comité, ne constitue pas en soi une violation de l'article 14) (16),
les personnes qui ne parlent ou ne comprennent pas l'anglais peuvent bénéficier
des services d'un interprète. Une telle assistance aurait été offerte à
l'auteur, si la situation l'avait exigé. Selon le droit australien, la question
de la mise à disposition d'un interprète se pose à divers stades de la procédure
pénale, avant que l'accusé ne comparaisse devant le tribunal. Ainsi, l'article
101 de la loi de 1997 sur les pouvoirs et les responsabilités de la police
(Queensland) dispose que l'officier de police judiciaire doit faire en sorte
qu'un interprète soit présent s'il a des motifs raisonnables de penser que
la personne en garde à vue ne peut pas, en raison d'une connaissance insuffisante
de la langue ou d'une incapacité physique, s'exprimer plus ou moins couramment
en anglais. L'article 73 du Code des responsabilités de la police, énoncée
à l'annexe 2 de la loi de 1997 sur les pouvoirs et les responsabilités de
la police, prévoit, à l'alinéa 2, que l'inspecteur de police judiciaire
peut poser des questions afin de déterminer si oui ou non la personne en
garde à vue est en mesure, notamment, de les comprendre. L'État partie fait
valoir que rien dans l'enregistrement de l'interrogatoire ne peut laisser
supposer que l'inspecteur de police judiciaire aurait dû se douter que l'auteur
n'avait pas une connaissance suffisante de l'anglais pour s'exprimer «plus
ou moins couramment». Enfin, l'article 131A(1) de la loi de 1977 sur les
dépositions (Queensland) prévoit que, dans une procédure pénale, un tribunal
peut demander à l'État de fournir les services d'un interprète à un plaignant,
un défendeur ou un témoin, s'il estime que l'intérêt de la justice l'exige.
Selon l'État partie, l'article 131A est compatible avec le paragraphe 3
f) de l'article 14 du Pacte et, étant donné le sens étendu que recouvre
la notion d'«intérêt de la justice», prévoit même une protection plus large
de l'accusé.
5.18 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article
14, l'État partie estime que le Comité devrait rejeter cette allégation
de l'auteur comme infondée pour les raisons énoncées plus haut (par. 5.8
à 5.13).
Commentaires de l'auteur
6.1 L'auteur a répondu aux observations de l'État partie dans une lettre
de mars 2002. Il réfute les arguments de l'État partie concernant la recevabilité
et le fond et réaffirme ses deux allégations de violation du paragraphe
3 f) et du paragraphe 5 de l'article 14. Il donne également des informations
détaillées sur les déclarations consignées dans les comptes rendus d'audience,
faites par l'inspecteur de police judiciaire et les témoins et qui révèlent,
selon lui, le caractère contradictoire et peu fiable de toutes leurs dépositions.
6.2 S'agissant de la façon dont il a été traité par l'inspecteur de police
judiciaire, l'auteur réaffirme qu'il a été «agressé au cours de son interrogatoire
par celui-ci». Il déclare qu'on lui a demandé au cours du procès de désigner
la personne qui l'avait agressé et qu'il a désigné l'inspecteur de police
judiciaire.
6.3 En outre, l'auteur déclare qu'à son avis la raison pour laquelle son
avocat n'a pas demandé la présence d'un interprète au cours du procès était
due aux coûts induits. Il note que si l'anglais est largement parlé en Tanzanie,
cette langue n'est pas nécessairement comprise et parlée par tous les habitants.
Il reconnaît qu'il «pouvait s'exprimer raisonnablement», mais indique qu'il
«n'a jamais très bien compris la procédure» et ajoute que, dans son exposé
final, le juge du fond aurait dû demander au jury de prendre en considération
les difficultés qu'il éprouvait à comprendre et parler l'anglais.
6.4 Enfin, l'auteur déclare, sans donner davantage de détails, que le jury
avait des préjugés à son égard en raison des preuves indirectes, et parce
qu'il est noir et s'exprime avec difficulté.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son Règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
7.3 Pour ce qui est du fait que l'auteur se serait vu refuser les services
d'un interprète, le Comité estime que l'auteur n'a pas suffisamment étayé
son allégation aux fins de la recevabilité. Il constate, d'après les pièces
fournies, que l'auteur pouvait s'exprimer correctement en anglais, qu'il
n'a pas demandé la présence d'un interprète lors du procès au cours duquel
il a fait des dépositions, qu'il a refusé l'assistance d'un interprète à
l'audience de la Cour d'appel au cours de laquelle il s'est défendu lui-même
et qu'il reconnaît dans sa réponse aux observations de l'État partie qu'il
«était en mesure de s'exprimer à peu près correctement» en anglais. Le Comité
réaffirme que l'exigence d'un procès équitable n'implique pas que les États
parties ont l'obligation de fournir les services d'un interprète d'office
ou sur demande à une personne dont la langue maternelle n'est pas la langue
officielle du tribunal, si l'intéressé est par ailleurs en mesure de s'exprimer
à peu près correctement dans la langue employée à l'audience (17).
Le Comité considère en conséquence que cette partie de la communication
est incompatible avec les dispositions de l'article 3 du Protocole facultatif
et qu'elle est donc irrecevable.
7.4 S'agissant de l'agression dont l'auteur aurait été victime de la part
de l'inspecteur de police judiciaire, le Comité note que l'on ignore toujours
si l'auteur se plaint d'une violation distincte du Pacte à cet égard ou
s'il s'agit simplement d'une raison pour laquelle il a refusé les services
d'un interprète lors de sa comparution devant la Cour d'appel. En tout état
de cause, le Comité constate que l'auteur n'a ni prouvé qu'il avait épuisé
les recours internes à cet égard, ni étayé sa réclamation aux fins de la
recevabilité. Une simple allégation non étayée par des éléments de fait
ne suffit pas pour formuler une demande en vertu du Pacte. Le Comité conclut
en conséquence que toute allégation de mauvais traitement de la part de
la police est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.5 Pour ce qui est de la question de la violation du paragraphe 5 de l'article
14, le Comité note que le motif sur lequel l'auteur se fonde pour avancer
une telle allégation ne ressort pas clairement de sa communication. Ce paragraphe
consacre le droit de l'auteur de faire examiner par une juridiction supérieure
la déclaration de culpabilité et la condamnation. Il semble que cette allégation
ait trait au rejet par la Haute Cour de la demande d'autorisation spéciale
de faire appel formulée par l'auteur, ainsi qu'au fait que ce dernier aurait
été «forcé» d'accepter un avocat commis d'office qui n'avait été chargé
de son affaire que la veille de sa demande à la Haute Cour, et qu'au cours
de l'audience, l'avocat de l'auteur n'aurait pas fait valoir les arguments
énoncés dans la demande de ce dernier. Le Comité note que le simple rejet
d'une demande d'autorisation spéciale de faire appel ne suffit pas à prouver
qu'il y a eu violation du paragraphe 5 de l'article 14. Il rappelle (18)
que les dispositions de ce paragraphe n'exigent pas qu'une cour d'appel
procède à un réexamen des faits de la cause, «mais qu'elle procède à une
évaluation des éléments de preuve présentés au procès et de la manière dont
le procès s'est déroulé». Le Comité constate, au vu de l'arrêt de la Cour
d'appel, que celle-ci a bien évalué les éléments de preuve pesant contre
l'auteur et a spécifiquement traité de la principale allégation de l'auteur
selon laquelle il aurait dû bénéficier des services d'un interprète. La
Haute Cour a également examiné cette allégation et l'a rejetée. Le Comité
considère également que les plaintes dirigées contre le conseil n'étayent
pas l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article 14. Il considère
en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable au motif
qu'elle est insuffisamment fondée, conformément à l'article 2 du Protocole
facultatif.
7.6 Dans la mesure où les arguments de l'auteur concernant le rôle du conseil
dans la présentation de sa requête à la Haute Cour peuvent soulever une
question au titre du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14, le Comité estime
que l'auteur n'a pas étayé son allégation à cet égard. De même, il considère
que la nouvelle allégation de «préjugé racial» soulevée par l'auteur dans
sa lettre de mars 2002 n'a pas non plus été étayée. Ces allégations sont
en conséquence irrecevables en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
8. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3, et
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.
______________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité mentionnés ci-après ont participé à l'examen de
la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice
Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfid Khalil, M. Rajsoomer Lallah,
M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Conformément à l'article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Ivan Shearer
n'a pas participé à l'adoption de la décision.
Notes
1. Aucune autre information sur ce point n'est donnée et l'auteur n'en fait
pas une allégation spécifique.
2. L'État partie fournit une copie du procès-verbal de l'interrogatoire
établi par la police.
3. Ni l'État partie ni l'auteur n'ont précisé l'endroit où l'auteur se
trouvait entre le 2 et le 7 février 1997.
4. Le texte de la décision de la Cour d'appel est joint aux observations
de l'État partie.
5. L'État partie a fourni une copie des comptes rendus de la Haute Cour.
6. L'État partie renvoie notamment aux décisions du Comité dans les affaires
suivantes: Guesdon c. France, communication no 219/1986, constatations
adoptées le 25 juillet 1990; Cadoret et Le Bihan c. France,
communications nos 221/1987 et 323/1998, constatations adoptées le 11 avril
1991; Barzhig c. France, communication no 237/1998, constatations
adoptées le 11 avril 1991.
7. L'État partie fournit un exemplaire du rapport, daté du 19 septembre
2001, établi par l'inspecteur en question, décrivant la procédure suivie
et les détails de l'arrestation et de l'interrogatoire de l'auteur au poste
de police. Il joint une copie de la déclaration établie par l'inspecteur
de police judiciaire et présentée au tribunal.
8. L'État partie renvoie à l'Observation générale no 13 (21) du Comité
en date du 12 avril 1984 (par. 17), selon laquelle les termes «modalités
internes» englobent les questions telles que les procédures d'appel, l'accès
aux juridictions de seconde instance et les pouvoirs de ces juridictions,
les conditions à remplir pour faire appel et la façon dont les procédures
de recours tiennent compte des conditions visées au paragraphe 1 de l'article
14 relatives au droit qu'a toute personne à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement. Il cite également l'affaire Consuelo Salgar
de Montejo c. Colombie, communication no 64/1979, constatations
adoptées le 24 mars 1982.
9. L'État partie renvoie également au paragraphe 1 de l'article 2 du Protocole
no 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales («la Convention européenne»), qui dispose que: «Toute
personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le
droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de
culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs
pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.». Dans l'application
de cette disposition, la Commission européenne des droits de l'homme a considéré
qu'il était suffisant que les États limitent le droit de recours à des questions
de droit.
10. Communication no 536/1993, décision d'irrecevabilité adoptée le 28
mars 1995.
11. Affaire Maroufidou c. Suède, communication no 58/1979,
constatations adoptées le 9 avril 1981.
12. L'État partie renvoie à l'affaire Tomlin c. Jamaïque,
communication no 589/1994, constatations adoptées le 16 juillet 1996.
13. L'État partie renvoie à l'affaire Tomlin c. Jamaïque,
communication no 589/1994, constatations adoptées le 16 juillet 1996.
14. L'État partie cite à titre d'exemple l'affaire Chamberlain v.
The Queen (no 2) (1984) 153 CLR 521, dans laquelle la Haute Cour
a annulé la condamnation au motif que les éléments de preuve présentés au
jury lors du procès n'avaient pas permis d'établir de façon indubitable
la culpabilité de l'accusé; M v. The Queen (1994) 181 CLR
487.
15. L'État partie soumet une copie de la lettre datée du 24 août 2001 adressée
à l'auteur par le Président et greffier principal par intérim de la Haute
Cour, dans laquelle il est indiqué que l'auteur a eu le choix soit de comparaître
en son nom avec l'aide d'un interprète, soit d'être représenté par un conseil
et n'a en aucune façon été «forcé» d'accepter l'intervention d'un conseil.
16. L'État partie renvoie à la communication no 219/1986, supra.
17. Communication no 219/1986, Guesdon c. France,
constatations adoptées le 25 juillet 1990.
18. Pereira c. Australie, communication no 536/1993,
décision d'irrecevabilité adoptée le 28 mars 1995.