Présentée par: M. Joseph Semey
Au nom de: L'auteur
État partie: Espagne
Date de la communication: 18 décembre 1999 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 juillet 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 986/2001 présentée
par M. Joseph Semey, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations ci-après:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est M. Joseph Semey, (1) citoyen
canadien et camerounais, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de
Ségovie (Espagne) (2) Il se dit victime de violations par l'Espagne
du paragraphe 1, du paragraphe 2, du paragraphe 3 d) et e) et du paragraphe
5 de l'article 14 ainsi que de l'article 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Dans une deuxième lettre, il se dit également
victime de violation par l'Espagne du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.
L'auteur n'est pas représenté par un avocat.
Rappel des faits présentés par l'auteur (3)
2.1 Le 29 octobre 1991, une femme dénommée Isabel Pernas est arrivée
à Lanzarote (îles Canaries) par un vol en provenance de Madrid. À son
arrivée à Lanzarote, la police l'a arrêtée pour un contrôle. À ce moment-là,
un passager de race noire portant une casquette et des lunettes a quitté
rapidement la salle de retrait des bagages sans récupérer un sac de voyage
censé lui appartenir. Ce sac était enregistré au nom de Remi Roger. La
femme, qui transportait de la drogue à même le corps, a déclaré que la
drogue lui avait été remise à Madrid par un certain Johnson.
2.2 L'auteur de la communication, Joseph Semey, déclare avoir été arrêté
et détenu à Madrid le 7 février 1992 et condamné à 12 ans de prison, bien
qu'innocent, par la juridiction provinciale (Audiencia Provincial)
de Las Palmas en mars 1995 pour un prétendu délit contre la santé publique
qu'il n'a jamais commis. D'après l'auteur, il n'a été impliqué dans les
faits en question que sur la base des déclarations de Mme Isabel Pernas,
motivées selon l'auteur par l'inimitié existant entre lui-même et la famille
du fiancé de Mme Isabel Pernas, dénommé Demetrio. À ce sujet, l'auteur
informe le Comité qu'il a été emprisonné, auparavant, pour avoir été impliqué
directement dans un délit d'homicide sur la personne du cousin de Demetrio
et qu'il venait de sortir de prison lorsqu'il s'est trouvé mis en cause
à tort dans cette histoire.
2.3 Selon l'auteur, Mme Isabel Pernas a déclaré à la police qu'elle avait
fait sa connaissance à Madrid, dans une discothèque, la veille du jour
où elle a été arrêtée avec la drogue et que c'est lors de cette rencontre
que l'auteur se serait mis d'accord avec elle sur le transport de la drogue
de Madrid à Lanzarote. D'après l'auteur, c'est faux, étant donné que le
28 octobre 1991 était le jour de fermeture de la discothèque en question
(Discoteca Los Sueños) (l'auteur joint à l'appui de son affirmation
un document signé par le directeur de la discothèque).
2.4 L'auteur explique que l'affirmation de Mme Isabel Pernas selon laquelle
il l'accompagnait lors du voyage à Lanzarote et s'est servi du nom de
Remi Roger est une invention. D'après lui, Remi Roger était un ami intime
d'Isabel Pernas et de son fiancé Demetrio. L'auteur indique que Remi Roger,
un autre jeune de race noire et lui-même partageaient un appartement à
Madrid et que Doña Angela Peñalo Ortiz, fiancée de l'auteur, a confirmé
au cours de la procédure orale que Remi Roger existait bien, qu'il était
aussi de race noire et possédait des caractéristiques semblables à celles
de l'auteur. L'auteur ajoute qu'il n'a jamais pu être démontré que les
objets trouvés dans le sac de voyage resté sur la bande transporteuse
à l'aéroport de Lanzarote lui appartenaient.
2.5 D'après l'auteur, le juge d'instruction a commis une irrégularité
en autorisant l'un des gardes civils chargés d'enquêter sur l'affaire
(Don Francisco Falero) à l'identifier lors d'une séance d'identification
et à témoigner à charge, un an après les faits. Selon l'auteur, ce policier
connaissait tous les détails de l'affaire et disposait de photographies
de l'auteur dans le dossier de la police.
2.6 L'auteur affirme aussi que le tribunal l'a jugé uniquement en se
fondant sur les déclarations faites par Mme Isabel Pernas pendant l'instruction
préliminaire et que les preuves et témoins à décharge présentés par l'auteur
n'ont pas été pris en compte par le tribunal. À ce sujet, l'auteur affirme
que le jour des faits, dans la matinée, il est allé à la prison de Herrera
de la Mancha pour rendre visite à son compatriote Nong Simon, ce qui n'a
pas été possible parce que l'horaire des visites avait changé et que,
dans l'après-midi, après sa visite à la prison de Herrera de la Mancha,
il s'est rendu à Estepona en compagnie du couple Bell. C'est ce qu'a déclaré
M. Bell devant notaire. D'après l'auteur, les déclarations d'Isabel Pernas
ne sauraient avoir plus de valeur que les déclarations d'autres témoins
et il réaffirme qu'il n'existe aucune preuve qu'il soit allé à Lanzarote.
2.7 L'auteur a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême,
mais ce dernier s'est borné à statuer sur les motifs de cassation, confirmant
la décision du tribunal de jugement, et n'a pas réexaminé les preuves
sur lesquelles la juridiction provinciale (Audiencia Provincial)
a dit s'être fondée pour condamner l'auteur. L'auteur a également formé
un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, recours
déclaré irrecevable parce qu'il n'a pas été présenté après l'arrêt du
Tribunal suprême.
2.8 L'auteur a déposé devant la Cour européenne des droits de l'homme,
à Strasbourg, une requête qui a été déclarée irrecevable pour non-épuisement
des recours internes (recours en amparo présenté en dehors des
délais).
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme être victime d'une violation par l'État espagnol
des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
indiqués ci-après:
a) Article 26 et article 14.1
3.2 L'auteur considère qu'il a été condamné parce qu'il est noir et déclare
qu'en Espagne on pense que les Noirs et les Sud-Américains se livrent
au trafic de drogue. Selon lui, conjugué au racisme ambiant, cet état
d'esprit fait que la déclaration d'un Espagnol a beaucoup plus de valeur
que celle d'un Noir. L'auteur affirme, que s'il avait été espagnol, il
n'aurait pas été envoyé en prison sur la foi des déclarations faites contre
lui. À cet égard, il affirme que le principe d'égalité consacré à l'article
26 du Pacte a été violé.
3.3 Il allègue aussi une violation du paragraphe 1 de l'article 14 parce
qu'il n'a pas bénéficié de l'égalité devant les tribunaux ni de leur impartialité.
En effet, Isabel Pernas a été condamnée à trois (3) ans de prison et lui
à douze (12). Selon l'auteur, le tribunal de jugement a contrevenu aux
garanties de procédure en le jugeant sur la base des déclarations recueillies
pendant l'instruction préliminaire. Il affirme avoir fait l'objet d'une
ordonnance de mise en détention provisoire en tant que responsable du
délit sur les simples déclarations d'Isabel Pernas, sans avoir été entendu.
En outre, le juge a convoqué les gardes civils qui ont mené toute l'enquête
contre lui afin que l'un d'entre eux témoigne à sa charge et l'identifie
lors d'une séance d'identification un an après les faits (témoin à charge
Don Francisco Falero). M. Francisco Falero avait participé plusieurs fois
au transfert de l'auteur du centre pénitentiaire au bureau du juge d'instruction
pendant la procédure, et le connaissait donc déjà. L'auteur explique également
que l'ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement était fondée
sur les déclarations d'Isabel Pernas sans que soit pris en compte tout
ce qui était en faveur de l'auteur. Il affirme qu'il ne lui appartient
pas de prouver qu'il ne se trouvait pas à Lanzarote le jour en question,
mais que c'est à l'accusation de démontrer qu'il s'y trouvait. Il affirme
que l'on n'a pas réussi à démontrer qu'il utilisait le nom de Remi Roger
ni qu'il était le propriétaire du sac de voyage abandonné à l'aéroport.
Il réaffirme qu'une simple accusation ne peut être considérée comme une
preuve décisive permettant de déclarer qu'une personne est l'auteur de
certains faits.
b) Article 14.2
3.4 D'après les explications de l'auteur, Mme Isabel Pernas a été arrêtée
et détenue aux îles Canaries et c'est sur la base de ses déclarations
que l'auteur a été arrêté à Madrid. Avant d'être transféré aux Canaries
pour pouvoir comparaître devant l'autorité judiciaire qui a ordonné sa
mise en détention, l'auteur a fait l'objet d'une ordonnance de mise en
détention provisoire en tant que responsable d'un délit contre la santé
publique. Selon lui, face à une simple accusation verbale, l'ordonnance
de mise en détention provisoire aurait dû être décernée contre lui tout
au plus en tant que participant présumé à un délit et non en tant qu'auteur
d'un délit. La présomption d'innocence ne saurait être vidée de son sens
par les déclarations de Mme Isabel Pernas. L'auteur affirme que toute
personne inculpée doit être entendue par l'autorité judiciaire compétente
avant de faire d'objet d'une ordonnance de mise en détention provisoire.
La responsabilité pénale d'une personne ne peut être prouvée que dans
le cadre d'une procédure de jugement et ne peut être déclarée que par
un jugement exécutoire et non par une ordonnance de mise en détention
provisoire.
c) Article 14.3 d)
3.5 Selon l'auteur, le juge d'instruction (juridiction d'instruction
no 2 d'Arrecife) l'a obligé à faire ses premières déclarations sans l'assistance
de son avocat. L'avocat commis d'office aurait normalement dû être Me
Carmen Dolores Fajardo, mais celle-ci était absente, et le juge a recueilli
la déclaration de l'auteur en la seule présence de Me Africa Zabala Fernández,
l'avocate de la prévenue. L'auteur affirme que le Tribunal suprême indique
à tort que la personne l'ayant impliqué dans cette affaire et lui-même
avaient désigné la même avocate pour les défendre, Me Africa Zabala, ce
qui est entièrement faux. Selon l'auteur, aucun document ne montre qu'il
ait désigné cette personne pour le défendre.
d) Article 14.3 e)
3.6 L'auteur affirme que son avocat a demandé à plusieurs reprises (28
septembre, 22 octobre et 6 novembre 1992) une confrontation entre Mme
Isabel Pernas et l'auteur mais que cela fut refusé par le juge d'instruction.
En outre, Mme Isabel Pernas a été jugée avant l'auteur et n'a pu être
interrogée ni par le tribunal ni par l'avocat de l'auteur. Selon l'auteur,
l'avocate d'Isabel Pernas et le procureur se sont entendus pour que celle-ci
soit jugée et condamnée à trois ans de prison.
e) Article 14.5
3.7 L'auteur allègue que le Tribunal suprême n'a pas réexaminé les circonstances
ayant amené la juridiction provinciale (Audiencia Provincial) à
le condamner à 12 ans d'emprisonnement, sans que l'accusation formulée
verbalement par la partie adverse ait été confirmée pendant la procédure
de jugement. Il ajoute que la violation du droit à un recours utile devant
le Tribunal suprême est générale dans tous les pourvois en cassation,
comme l'a constaté le Comité des droits de l'homme.
f) Article 9.1
3.8 Dans une deuxième lettre, l'auteur affirme que lui faire accomplir
intégralement la peine de 12 ans de prison porte atteinte à l'article
9.1 du Pacte, parce que l'article 98 du Code pénal espagnol prévoit la
libération conditionnelle lorsque les trois quarts de la peine ont été
accomplis. Selon lui, il devrait avoir obtenu la libération conditionnelle
mais, en raison des plaintes qu'il a formées contre la justice espagnole,
on l'oblige à accomplir intégralement sa peine.
3.9 L'auteur ajoute, sans mentionner l'article du Pacte qui aurait été
enfreint, que les garanties de procédure ont été violées parce que la
même affaire a fait l'objet de deux procès. Le 26 novembre 1993, la Sección
Primera de la Audiencia Provincial de Las Palmas (Grande-Canarie)
a jugé Isabel Pernas, qui a été condamnée à trois ans d'emprisonnement
correctionnel. Deux ans après, la Sección Quinta de la même
juridiction (Audiencia Provincial) a jugé Joseph Semey, dans le
cadre d'un nouveau procès auquel n'a pas comparu Isabel Pernas. Selon
l'auteur, le tribunal dit dans son jugement que les déclarations d'Isabel
Pernas pouvaient être prises en considération bien qu'elle n'ait pas comparu
lors de la procédure de jugement contre l'auteur, ce qui est en contradiction
avec les dispositions du Code de procédure pénale, à savoir que l'instruction
préliminaire est une simple préparation de la procédure de jugement et
que cette dernière n'est jamais une simple formalité entérinant les résultats
de l'instruction. Les policiers ayant mené l'enquête contre l'auteur n'ont
pas non plus comparu lors du procès.
Informations et observations de l'État partie quant à la recevabilité
4.1 Dans ses observations du 17 septembre 2001, l'État partie demande
au Comité de déclarer la communication irrecevable. Il explique que, selon
l'article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, l'auteur doit
avoir épuisé tous les recours internes disponibles, c'est-à-dire les avoir
utilisés correctement, en d'autres termes les avoir présentés dans la
limite des délais établis par la loi. Si un particulier présente tardivement
un recours interne disponible, l'organe qui l'examine doit le rejeter
en raison de son caractère tardif. L'État partie affirme que l'auteur
de la communication n'a pas épuisé les recours internes disponibles dans
la mesure où il ne les a pas épuisés «correctement».
4.2 En l'espèce, le Tribunal suprême a rendu son arrêt le 16 mai 1996,
et ce dernier a été notifié au représentant de M. Joseph Semey le 13 juin
1996. Le délai pour présenter un recours en amparo devant le Tribunal
constitutionnel est de «20 jours à compter de la notification de la décision
judiciaire», en vertu de l'article 43.2 de la loi organique du Tribunal
constitutionnel no 2/1979 du 3 octobre 1979. M. Joseph Semey a présenté
son recours en amparo le 11 novembre 1998, soit deux ans après
la notification de l'arrêt. Par conséquent, en application de la loi,
le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable le recours en amparo
en raison de son caractère tardif. La requête présentée par M. Semey devant
la Cour européenne des droits de l'homme a été rejetée pour non-épuisement
des recours internes en raison du caractère tardif du recours en amparo.
Commentaires de l'auteur sur la recevabilité de la communication
5.1 Dans une lettre du 14 novembre 2001, l'auteur explique que l'argument
du non-épuisement du recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel
qu'invoque l'État espagnol pour demander que la communication soit déclarée
irrecevable a déjà été rejeté par le Comité des droits de l'homme à propos
de communications antérieures, et plus précisément dans le cas de Cesáreo
Gómez Vásquez, où, selon l'auteur, l'avocat s'est adressé directement
au Comité après l'arrêt du Tribunal suprême sans utiliser le recours en
amparo devant le Tribunal constitutionnel. Sur la base de l'affaire
Cesáreo Gómez Vásquez c. Espagne, le motif invoqué par l'État
partie devrait aussi être rejeté dans le cas à l'examen.
5.2 Selon l'auteur, même si le recours en amparo avait été formé
dans le délai indiqué, il n'aurait pas été déclaré recevable. Le Tribunal
constitutionnel a rejeté à diverses reprises des recours fondamentaux,
en violation manifeste du droit à la présomption d'innocence. En outre,
selon l'auteur, le Tribunal dit qu'il ne peut revenir sur les faits déjà
démontrés parce que, en Espagne, les preuves présentées au procès ne peuvent
faire l'objet d'une nouvelle appréciation par un tribunal supérieur.
5.3 En ce qui concerne les dispositions de l'article 2 du Protocole,
l'auteur de la communication affirme qu'en vertu de l'article 5.2 b) dudit
Protocole, lorsque les procédures de recours excèdent des délais raisonnables,
la règle de l'épuisement de tous les recours internes ne s'applique pas;
par conséquent, on peut parfaitement s'adresser au Comité sans avoir épuisé
le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Enfin,
il faut considérer que les droits des personnes ne se réduisent pas à
une simple formalité administrative et il ne faudrait pas que toutes les
violations dont l'auteur a été victime restent impunies parce que ce dernier
n'aurait pas épuisé le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.
5.4 L'auteur allègue que son recours en amparo devant le Tribunal
constitutionnel n'a pas été présenté en dehors du délai prescrit. Selon
la législation espagnole, le délai pour interjeter tout appel judiciaire
court à partir du jour suivant la dernière notification de la décision
ou ordonnance judiciaire attaquée dans le recours et, dans le cas à l'examen,
la dernière notification judiciaire a été celle du jugement définitif
rendu par le tribunal de jugement. Selon l'auteur, la dernière copie authentique
d'un jugement définitif portant le sceau et la signature du greffier est
datée du 25 septembre 1998 et, dans le délai légal de 20 jours à compter
de cette date, il a interjeté l'appel d'amparo devant le Tribunal
constitutionnel. L'auteur allègue que, dans son arrêt 29/1981 du 24 juillet
1981, le Tribunal constitutionnel reconnaît à un requérant le droit de
faire recours lorsqu'il est en possession de la copie authentique d'un
jugement.
5.5 L'auteur explique que le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable
le recours en amparo en raison de son caractère tardif parce que,
selon le Tribunal, il aurait dû être formé en 1996 et dans un délai de
20 jours à compter de la notification de l'arrêt du Tribunal suprême.
L'auteur note que personne ne lui a notifié cette décision. Étant celui
qui est affecté par la décision et qui a été condamné, il considère que
cet arrêt aurait dû lui être notifié personnellement.
5.6 L'auteur déclare que, comme l'indiquent les pièces du dossier, le
Tribunal suprême a notifié son arrêt à M. Vásquez Guillén, (procurador),
l'avoué qui a présenté le pourvoi en cassation devant cette juridiction.
L'auteur allègue qu'une notification faite en son nom n'a aucune valeur
légale, étant donné qu'il n'a jamais donné procuration à qui que ce soit
pour recevoir une notification en son nom. Selon lui, pour désigner un
représentant légal, il faut signer un pouvoir devant notaire, conformément
au Code de procédure pénale espagnol. Il ajoute qu'au moment de présenter
un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, en tant qu'étranger,
il ne connaissait pas le rôle du procurador (avoué). Il indique
que M. Guillén et lui ne se sont jamais parlé et ne se connaissent pas.
L'auteur précise que, pour ce recours, il a choisi comme avocat M. Caballero.
Observations additionnelles de l'État partie sur la recevabilité
et le fond
6.1 Dans ses observations du 16 janvier 2002, l'État partie mentionne
de nouveau la question de la recevabilité. Il observe que l'auteur de
la communication reconnaît expressément qu'il n'y a pas eu épuisement
des recours internes en raison de la présentation tardive du recours en
amparo et cherche à se justifier en invoquant trois arguments:
a) Jour à compter duquel se calcule le délai de 20 jours pour faire
recours devant le Tribunal constitutionnel contre l'arrêt du Tribunal
suprême. Selon l'auteur, ce délai ne commence pas à partir de la notification
de l'arrêt, mais à partir du dernier avis s'y rapportant. Selon l'État
partie, la thèse de l'auteur est erronée et confondre la notification
d'une décision aux fins de contestation avec la réception d'un acte authentique
du jugement définitif rendu par la juridiction de jugement aux fins de
l'exécution de la peine est contraire à toutes les règles de procédure.
De même, l'auteur de la communication fait valoir que l'acte authentique
lui a été notifié le 25 septembre 1998 et qu'il a formé le recours en
amparo dans un délai de 20 jours, le 11 novembre 1998, c'est-à-dire
en réalité 47 jours plus tard;
b) L'auteur de la communication dit qu'il n'a pas désigné M. Vásquez
Guillén pour le représenter devant le Tribunal suprême. L'État partie
présente une copie du pourvoi en cassation présenté devant le Tribunal
suprême, dans lequel on peut lire que «pour le représenter devant cette
chambre du Tribunal suprême, il désigne Don Argimiro Vásquez Guillén,
avoué (procurador), sa défense étant toujours assurée par Don Felipe
Callero González, avocat à Lanzarote»;
c) Selon l'auteur, le Comité doit prendre à son égard la même décision
que dans l'affaire Cesáreo Gómez Vásquez. Selon l'État partie, il
n'y a aucune similitude entre l'affaire Joseph Semey et l'objet de la
décision sur la recevabilité prise concernant la communication 701/1996.
Dans le cas de Joseph Semey, un recours en amparo a été formé,
tardivement, mais il a été formé. Dans la communication 701/1996, l'auteur
a allégué que le recours en amparo n'était pas nécessaire parce
que le Tribunal constitutionnel avait considéré à plusieurs reprises le
pourvoi en cassation comme une application de l'article 14.5 du Pacte.
6.2 En conclusion, l'auteur reconnaît en réalité qu'il n'y a pas eu véritablement
épuisement des recours internes, ce qui fait que la communication est
irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.3 Quant au fond, l'État partie signale que l'auteur de la communication
se déclare en désaccord avec l'appréciation des preuves faite par les
juridictions internes. L'organe international pour sa part ne procède
pas à l'appréciation des preuves, qui relève de la compétence des juridictions
internes. La mission du Comité est d'apprécier si l'évaluation des preuves
dans un procès pénal, vu dans son ensemble, a été raisonnable ou, au contraire,
arbitraire. L'État partie ajoute que l'auteur a été condamné au pénal
sur décision motivée et argumentée, confirmée ultérieurement par le Tribunal
suprême après réappréciation de la force probante des éléments de preuve.
6.4 L'État partie déclare que la stratégie de défense de M. Semey a consisté
à nier avoir remis la drogue à la femme, lui avoir acheté la robe, le
billet d'avion et l'avoir accompagnée pendant le voyage, en abandonnant
un grand sac de voyage sur la bande transporteuse de bagages. L'État partie
cite le jugement rendu par la juridiction provinciale (Audiencia provincial)
qui déclare ce qui suit concernant cette allégation:
«L'accusé a toujours nié avoir un lien quelconque avec la conduite délictueuse
d'Isabel Pernas San Román, prétendant que cette dernière l'accusait
directement de lui avoir fourni la drogue (…) parce qu'elle était
la fiancée de Demetrio, dont le cousin a été tué par l'accusé. Par ailleurs,
la défense a déploré qu'Isabel n'ait pas été citée à comparaître à l'audience
pour être interrogée en procédure contradictoire, vu que cela n'avait
pu se faire lors du premier procès.
Le Tribunal considère (…) que la déposition d'Isabel peut être
prise en considération malgré son absence à ce procès parce que, premièrement,
les déclarations qu'elle a faites au cours de l'instruction préliminaire,
toujours en présence d'un avocat, ont été versées au dossier de la
présente procédure, et reproduites avec l'assentiment des parties,
ainsi que les déclarations faites par Isabel au cours de la procédure
de jugement précédente à laquelle a été expressément convoqué le représentant
de l'accusé, lequel a assisté seulement aux déclarations faites lors
de la phase d'instruction, et notamment à la déclaration faite devant
le magistrat instructeur lors de laquelle, en présence de l'avocat
défenseur de Joseph Semey, accusé, et en réponse à ses questions,
elle (Isabel) a fait l'objet d'une procédure contradictoire et a déclaré
ignorer que Joseph Semey avait été condamné pour avoir tué un cousin
de Demetrio; deuxièmement, la version d'Isabel est étayée de manière
décisive par le témoignage du garde civil D. Francisco Falero Guerra
(…)».
6.5 Deuxièmement, l'auteur fait valoir qu'il n'était pas à Lanzarote le
29 octobre 1991, car ce jour-là, il est allé rendre visite à un ami prisonnier
dans la prison de Herrera, puis s'est rendu en compagnie d'un couple anglais
à Estepona, sur la Costa del Sol. Il n'y a toutefois aucune trace de sa
visite à la prison, et les fonctionnaires de cet établissement ont démenti
qu'elle ait pu avoir lieu étant donné qu'il ne s'agissait pas d'un jour
de visite. Quant au voyage de Herrera à Madrid et de Madrid à Estepona que
l'auteur aurait fait avec un couple d'Anglais, le tribunal affirme que ce
second alibi «s'est révélé totalement artificieux et peu fiable parce que,
d'une part, dans sa première déclaration devant le juge d'instruction (en
présence de deux avocats), l'accusé a mentionné seulement sa visite à Herrera
et a évité toute référence à son voyage à Estepona (…) et d'autre
part, parce que la déclaration faite devant notaire par le couple Bell a
lieu précisément huit jours avant la déclaration faite par Joseph Bell et
à la suite d'un appel téléphonique dans ce sens émanant de l'avocat de la
défense, ce qui ôte toute spontanéité à ce qu'ont déclaré les époux britanniques».
6.6 L'État partie explique que l'on peut partager ou non l'appréciation
de l'alibi par le tribunal, mais que cette appréciation ne saurait être
qualifiée d'arbitraire.
6.7 L'État partie mentionne également la conclusion du Tribunal suprême:
«Compte tenu de ce qui précède, il faut reconnaître que le tribunal
ayant rendu la décision objet du recours a disposé, pendant la procédure
de jugement, d'une preuve testimoniale des faits et a reçu en outre
suffisamment d'éléments issus de l'instruction pour apprécier la crédibilité
de cette preuve, ce qui exclut toute atteinte au droit à la présomption
d'innocence.
Par ailleurs, il faut reconnaître que le tribunal de première instance
a motivé convenablement son jugement et que l'accusé a été défendu
comme il convient par l'avocat qu'il a désigné, et a obtenu une réponse
motivée rendue par un tribunal compétent.».
6.8 En ce qui concerne la confrontation entre l'auteur et Isabel Pernas,
le premier déplore qu'elle n'ait pas eu lieu. L'avocat de Semey a demandé
à cette femme, lors de la déclaration de l'inculpée devant le magistrat
instructeur, tout ce qu'il a jugé bon de demander, conformément au principe
du contradictoire. On observe que, dans son mémoire de qualification relatif
aux faits délictueux, aux déclarations de l'inculpé et aux preuves proposées
et à l'ouverture de la procédure de jugement, M. Semey n'a proposé aucune
confrontation entre lui et la femme. L'État partie joint une copie des minutes
du procès, ce qui permet de constater que le principe du contradictoire
a été respecté et que l'auteur de la communication et son avocat ne formulent
aucune plainte pour violation des droits du premier. Si la défense de M.
Semey voulait interroger Mme Pernas et avoir une confrontation entre elle
et son client dans la procédure orale, il était absolument indispensable
qu'elle propose ce mode de preuve dans le mémoire de qualification relatif
aux faits délictueux, aux déclarations de l'inculpé et aux preuves proposées.
En outre, dans une lettre du 24 janvier 2002, l'État partie confirme que,
dans le mémoire de qualification, M. Semey ne demande à aucun moment la
comparution de Mme Pernas à l'audience.
6.9 Quant à la différence entre les condamnations prononcées contre l'auteur
et Mme Pernas, l'explication est évidente. La femme a été jugée en tant
qu'auteur d'un délit contre la santé publique (simple passeur) et a bénéficié
d'une atténuation de peine grâce à son repentir spontané, d'où sa condamnation
à trois ans de prison. Joseph Semey a été jugé en tant que trafiquant
de drogues, avec aggravation de peine pour récidive (condamnation du 13
juillet 1987 pour délit d'homicide), et il a été condamné à 12 ans de
prison.
6.10 Quant à l'absence d'avocat au moment de la première déclaration
de l'auteur devant le juge, l'État partie signale qu'aucune allégation
n'a été faite à ce sujet ni pendant la procédure de jugement ni dans le
pourvoi en cassation. En outre, dans sa lettre du 24 janvier 2002, l'État
partie fait savoir que, le 7 février 1992, après son arrestation et sa
mise en détention à Madrid, Joseph Semey déclare qu'il désigne comme avocat
«l'avocat commis d'office». Le même jour, il fait également une déclaration
devant le juge, à Madrid, affirmant que son véritable nom est Joseph Semey
et non Spencer, en présence de Me Carmen Martínez González, avocate. Puis
à Lanzarote, le 14 mai 1992, il fait une déclaration devant le juge avec
l'assistance de l'avocate commise d'office, Me Carmen Dolores Fajardo.
6.11 Quant à la non-application du principe in dubio, pro reo
(le doute s'analyse toujours en faveur de l'accusé), l'État partie déclare
que ce principe est appliqué par le tribunal de jugement lorsque la responsabilité
pénale de l'accusé n'est pas clairement établie, auquel cas le tribunal
doit trancher en faveur de l'accusé. Dans le cas à l'examen, la juridiction
du jugement «a condamné le requérant sans avoir aucun doute», selon les
termes mêmes du Tribunal suprême.
6.12 L'État partie conclut en disant qu'aucune violation des garanties
énoncées à l'article 14 du Pacte n'est constatée et estime que la communication
devrait être déclarée irrecevable ou, le cas échéant, sans fondement.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
7.1 Dans une lettre du 11 février 2002, l'auteur signale que le document
fourni par l'État partie pour prouver que l'avoué Vásquez Guillén a été
désigné pour représenter l'auteur est dénué de valeur légale. L'auteur
affirme que, selon l'article 874 du Code de procédure pénale, pour former
un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, le requérant désigne
un avoué (procurador) en vertu d'un acte passé devant notaire que
et, pour que cette représentation ait valeur légale, l'acte notarial doit
porter, outre la signature du requérant et celle du notaire, celle de
l'avoué (procurador) désigné. L'auteur précise que le document
fourni par l'État partie comporte seulement sa propre signature et il
indique aussi n'avoir jamais eu aucun contact avec l'avoué (procurador)
en question. Selon l'auteur de la communication, toutes les notifications
que le Tribunal suprême a adressées à M. Vásquez au nom de l'auteur sont
sans valeur.
7.2 Au sujet du non-épuisement du recours en amparo devant le
Tribunal constitutionnel, l'auteur mentionne de nouveau la communication
701/1996 et réaffirme que l'article 5.2 b) du Protocole facultatif n'exige
pas l'épuisement de tous les recours internes si les procédures de recours
excèdent des délais raisonnables. En ce qui concerne l'avis exprimé par
l'État partie selon lequel il n'y a pas de similitude entre les deux affaires,
l'auteur de la communication pense au contraire que ne pas avoir formé
de recours et avoir formé un recours en dehors du délai établi à cet effet
revient au même. Dans les deux cas, on considère qu'il n'y a pas eu épuisement
du recours en question et le Comité devrait appliquer à l'auteur la même
décision que celle prise concernant la communication 701/1996.
7.3 Quant à l'allégation de l'État partie qui fait valoir que la Cour
européenne a déclaré l'affaire irrecevable pour non-épuisement des recours
internes, l'auteur signale que le Comité ne suit pas nécessairement la
même doctrine que la Cour européenne à cet égard, compte tenu en particulier
du fait que l'article 5.2 b) du Protocole facultatif n'exige pas que tous
les recours internes soient épuisés si les procédures de recours excèdent
des délais raisonnables.
7.4 En ce qui concerne le fond, l'auteur de la communication réaffirme
ce qu'il a déclaré dans des lettres antérieures, à savoir qu'une accusation
formulée oralement ne peut constituer une preuve décisive, et il réaffirme
la même chose à propos des déclarations du garde civil D. Francisco Falero.
7.5 À propos de la visite qu'il a faite à la prison de Herrera de la
Mancha, l'auteur réaffirme qu'il s'y est bien rendu. Il avait reçu l'autorisation
de voir son ami Nong Simon qui se trouvait dans le quartier fermé (module
2). Cette autorisation a été donnée quatre jours avant les faits. L'auteur
explique que le module en question avait droit aux visites les lundis
et jeudis, et que, le lundi 29 octobre 1991, lorsqu'il est allé rendre
visite à son ami, on l'a informé que celui-ci avait changé de module trois
jours auparavant et que l'auteur ne pouvait pas le voir parce que les
jours de visite du nouveau module de son ami étaient les mercredis et
vendredis. L'auteur n'ayant pu voir son ami, il est donc logique que la
visite n'ait pas été enregistrée officiellement. Pendant qu'il était à
la prison, il s'est entretenu avec un éducateur, D. Juanjo, lequel a déclaré
se souvenir d'avoir parlé avec l'auteur à la fin du mois d'octobre, mais
sans pouvoir préciser la date.
7.6 Pour ce qui est du voyage à Estepona, le fait que l'auteur n'ait
pas mentionné cet alibi dans sa première déclaration devant le juge d'instruction
ne veut pas dire que cela ne soit pas vrai. L'auteur explique qu'il n'en
a pas parlé parce qu'il avait peur de porter préjudice à ses amis en les
citant comme témoins dans une affaire liée au trafic de drogues. Il en
a discuté avec son avocat, qui lui a dit que ce témoignage était important
et a décidé d'appeler les deux témoins par téléphone.
7.7 Selon la loi, toute personne accusée d'un délit est innocente jusqu'à
ce que sa culpabilité soit prouvée et il n'est dit nulle part dans la
loi qu'une personne est coupable jusqu'à ce que son innocence soit démontrée.
L'auteur réaffirme qu'il n'existe aucune preuve matérielle l'impliquant
dans les faits en question, parce qu'il a été arrêté, détenu, jugé et
condamné sur la seule base des déclarations d'Isabel Pernas.
7.8 Quant au fait qu'il a été condamné à 12 ans de prison en raison de
l'aggravation de peine pour récidive, l'auteur précise que, selon l'article
22.8 du Code pénal espagnol, il y a récidive lorsque le coupable a déjà
été condamné définitivement pour un délit de même nature et que c'était
la première fois qu'il était détenu et condamné pour un délit lié au trafic
de drogues.
7.9 À propos des déclarations qu'il a faites sans la présence d'un avocat,
l'auteur confirme que, lorsqu'il a été transféré sur l'île pour être interrogé
par le juge d'instruction, l'avocate désignée d'office était Me Carmen
Dolores Fajardo. Lorsqu'il a été conduit devant le juge pour faire une
première déclaration, fin avril 1992, l'avocate était absente pour des
raisons de santé et la seule avocate présente était celle d'Isabel Pernas,
c'est-à-dire de l'accusation, Me Africa Zabala Fernández. L'auteur déclare
avoir cru ce jour-là que l'avocate présente était la sienne étant donné
qu'il ne la connaissait pas encore. C'est seulement lors de la deuxième
déclaration, le 14 mai 1992, à laquelle assistait Me Carmen Dolores, que
l'auteur a compris qu'il avait fait sa déclaration précédente sans la
présence de son avocate. Il ajoute que son avocat privé a protesté d'une
manière légale dans le mémoire de recours en révision formé contre l'ordonnance
de renvoi devant la juridiction de jugement et il l'a fait également dans
le mémoire de recours en cassation.
7.10 Le plaignant précise que la déclaration qu'il a faite devant le
juge d'instruction no 6 de Madrid en présence de Me Carmen Martínez, l'avocate,
n'a rien à voir avec l'affaire de Lanzarote qui fait l'objet de la communication
présentée au Comité. La déclaration en question (que mentionne l'État
partie) concernait le faux passeport anglais qu'il avait lors de son arrestation;
le juge d'instruction de Madrid ne pouvait recueillir les déclarations
de l'auteur concernant l'affaire de Lanzarote et la question du trafic
de drogues parce qu'il n'avait reçu aucune commission rogatoire de la
juridiction d'Arrecife lui demandant de le faire.
7.11 L'auteur réaffirme avoir été victime de violation du droit à ce
que sa cause soit entendue, du droit à un procès équitable et à un recours
juridictionnel effectif. Il mentionne de nouveau le fait qu'Isabel Pernas
a fait de fausses déclarations et que des irrégularités ont entaché les
déclarations et l'identification faites par le garde civil.
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 S'agissant de l'épuisement des recours internes, le Comité
note l'argument de l'État partie qui veut que la communication soit irrecevable
faute pour l'auteur d'avoir épuisé les recours internes. Néanmoins, le
Comité réaffirme sa position, à savoir que pour que l'on considère qu'il
y a eu épuisement des recours, il faut que les recours disponibles aient
quelque chance d'aboutir. Le Comité constate, comme dans l'affaire Cesáreo
Gómez Vázquez c. Espagne (communication 701/1996), qu'il existe
une ample jurisprudence récente du Tribunal constitutionnel espagnol déniant
le recours en amparo s'agissant de la révision de sentences, ce
dont s'autorise le Comité pour estimer que rien ne s'oppose à ce que la
communication soit déclarée recevable.
8.3 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 5.2 a) du Protocole
facultatif, s'assurer que la même question n'est pas déjà en cours
d'examen par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
Le Comité sait qu'il existe entre le texte de la version espagnole de
l'article 5.2 a) et les versions française et anglaise (4) une
divergence qui n'est pas une simple erreur de traduction mais met en évidence
des différences sensibles quant au fond. Cette divergence a été examinée
par les membres du Comité lors de sa quatrième session à New York, le
19 juillet 1978 (CCPR/C/SR.88 du 24 juillet 1978).(5) Ainsi, compte
tenu de la décision prise à ce sujet en 1978, le Comité réaffirme que
le terme «sometido» dans la version espagnole doit s'interpréter à la
lumière des autres versions linguistiques, ce qui signifie que le Comité
doit s'assurer que la même question n'est pas déjà en cours d'examen par
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Sur la base
de cette interprétation, le Comité estime que le cas de Joseph Semey n'est
pas en cours d'examen par la Cour européenne. En outre, le Comité note
que l'État partie n'a pas invoqué la réserve qu'il a formulée au sujet
du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent,
rien ne s'oppose sur ce point à ce que la communication soit déclarée
recevable.
8.4 En ce qui concerne la partie de la plainte de l'auteur relative à
la violation de l'article 26 du Pacte, du fait qu'il aurait été
condamné parce qu'il est noir, le Comité estime que l'auteur n'a pas suffisamment
étayé ses allégations aux fins de la recevabilité de sa communication
en vertu des dispositions de l'article 2 du Protocole facultatif. Pareillement,
le Comité estime que l'allégation de l'auteur relative à une violation
de l'article 9.1 du Pacte, du fait qu'il aurait été obligé de purger
l'intégralité de sa peine, n'a pas été suffisamment étayée pour être jugée
recevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
8.5 En ce qui concerne la partie de la plainte portant sur le fait qu'Isabel
Pernas et l'auteur ont été jugés à des moments distincts, le Comité
estime que l'auteur n'est pas parvenu à établir le lien avec les droits
protégés par le Pacte et que cette affirmation est également infondée
en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
8.6 Le Comité note que l'allégation de violation des paragraphes 1
et 2 de l'article 14 du Pacte porte principalement sur l'appréciation
des faits et des éléments de preuve. Comme le Comité l'a estimé en d'autres
occasions (934/2000 G.V. Canada), c'est aux juridictions des États parties
et non au Comité qu'il revient d'apprécier les faits dans une affaire
déterminée. Le Comité n'a pas compétence pour réexaminer les faits et
dépositions ayant fait l'objet d'une appréciation par les tribunaux internes
à moins que ces appréciations aient à l'évidence été arbitraires ou qu'il
y ait eu manifestement une erreur judiciaire. Les informations dont dispose
le Comité ne font pas apparaître que l'appréciation des faits par les
tribunaux espagnols ait été manifestement arbitraire ou que l'on puisse
conclure au déni de justice. Par conséquent, cette allégation n'a pas
été étayée aux fins de la recevabilité en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif.
8.7 S'agissant de l'allégation relative à la violation de l'article
14.3 e) du Pacte, du fait de la non-prise en considération des preuves
à décharge, les éléments dont dispose le Comité indiquent que les parties
ont bénéficié du principe du contradictoire et que l'avocat défendant
l'auteur a eu la possibilité d'interroger Mme Isabel Pernas. Pareillement,
il ressort des éléments à la disposition du Comité que l'auteur a saisi
de cette question les tribunaux internes avant de la porter devant le
Comité. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable
en vertu des dispositions de l'article 2 du Protocole facultatif.
8.8 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 3 d) de
l'article 14, du fait que l'avocat commis d'office n'aurait pas été
présent lors de la déposition de son client devant le magistrat instructeur
à Arrecife, le Comité note que selon l'État partie aucune allégation portant
sur ce point n'a été formulée à l'audience ni dans le mémoire de pourvoi
en cassation. Le Comité note également que selon l'auteur ce fait a été
signalé tant dans le mémoire de recours en appel que dans le mémoire de
pourvoi en cassation. Après avoir analysé le texte du recours en appel,
le Comité conclut qu'il ne s'y trouve aucune mention de ce fait. Pareillement,
lorsqu'il a voulu consulter le mémoire de pourvoi en cassation, le Comité
a trouvé dans la documentation une note manuscrite de l'auteur indiquant
«je n'ai pas trouvé le mémoire de pourvoi en cassation». Par conséquent,
sur la base des informations présentées par l'auteur, le Comité conclut
que cette partie de la communication est irrecevable en vertu des dispositions
de l'article 2 du Protocole facultatif.
8.9 En ce qui concerne la partie de la plainte portant sur la violation
du paragraphe 5 de l'article 14, le Comité considère que l'auteur a fourni
des arguments convaincants à l'appui de son allégation selon laquelle
il était victime d'une violation et passe à l'examen de cette plainte
quant au fond.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité prend note des arguments avancés par l'auteur faisant état
d'une possible violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte,
tenant au fait que le Tribunal suprême n'a pas apprécié les circonstances
qui ont conduit la juridiction provinciale à le condamner. Le Comité note
également que selon l'État partie le Tribunal suprême a réexaminé les
preuves sur lesquelles la juridiction provinciale s'est fondée pour condamner
l'auteur. Malgré l'affirmation de l'État partie selon laquelle les preuves
ont été réexaminées en cassation et eu égard aux informations et aux documents
dont il dispose, le Comité réitère les constatations établies en l'affaire
Cesáreo Gómez Vázquez et estime que le réexamen n'a pas été opéré
en se conformant aux dispositions du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l'article 14
du Pacte à l'encontre de Joseph Semey.
9.2 Conformément à l'alinéa a du paragraphe 3 de l'article 2 du
Pacte, l'auteur a le droit à un recours utile. L'auteur doit avoir le
droit à un réexamen de sa condamnation conformément aux prescriptions
du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. L'État partie est tenu de veiller
à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
9.3 Sachant qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu
que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non
violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 de ce dernier, il
s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est également prié de rendre publiques lesdites constatations.
__________________________
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin,
M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley, M. Martin
Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski
et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Connu également sous le nom de Johnson ou Spencer Mas vickky.
2. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
le Protocole facultatif s'y rapportant sont entrés en vigueur à l'égard
de l'État partie le 27 juillet 1977 et le 25 avril 1985, respectivement.
3. Les faits sont exposés par l'auteur dans trois lettres, datées du
18 décembre 2000, du 22 mars et du 14 novembre 2001.
4. Paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif: «El Comité
no examinará ninguna comunicación de un individuo a menos que se haya
cerciorado de que: El mismo asunto no ha sido sometido ya a otro procedimiento
de examen o arreglo internacionales.» / «Le Comité n'examinera aucune
communication d'un particulier sans s'être assuré que: la même question
n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.» / «The Committee shall not consider any communication
from an individual unless it has ascertained that: The same matter is
not being examined under another procedure of international investigation
or settlement.».
5. Au cours des délibérations, les membres du Comité ont exprimé des
opinions diverses à ce sujet:
M. Mora Rojas a dit «D'après le texte espagnol, le Comité n'a
pas la possibilité d'examiner les questions qui ont déjà été examinées
par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement; ce texte
diffère donc quant au fond des autres versions linguistiques. (…)
[Il] doute que le Comité ait compétence pour engager la procédure de correction
proprio motu ou puisse ignorer les contradictions ou les erreurs
qui figurent dans certaines langues et décider d'utiliser le texte anglais.».
M. Tomuschat a fait valoir «Un pacte international ne peut avoir
des sens différents pour les divers États parties». Sir Vincent Evans
a constaté «La rétention dans la version espagnole d'un texte qui a été
modifié dans les autres versions constitue manifestement une erreur. (…)
Il n'est que juste d'informer les États de langue espagnole d'une question
qui risque d'influer sur leur position dans un cas précis ou sur leurs
décisions quant à la ratification du Protocole facultatif ou à la formulation
d'une réserve à ce sujet.».
À la fin de la séance, le Président a dit qu'il pourrait être indiqué
dans le rapport que le Comité était parvenu à un consensus et qu'il avait
décidé de travailler sur la base des textes anglais, français et russe
de l'alinéa a du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.
M. Opsahl a estimé qu'il devait être bien clair que le Comité n'avait
pas pris de décision de principe quant à l'interprétation du Protocole
facultatif, ce qui ne relevait pas de sa compétence.