Présentée par: Mme Hena Neremberg et consorts
(représentés par un conseil, M. Edward Kossoy)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Allemagne
Date de la communication: 30 octobre 1999
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 juillet 2001,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. Les auteurs de la communication sont Mme Hena Neremberg et 10 autres
personnes résidant actuellement au Canada, en France et en Israël. Les auteurs
se déclarent victimes de violations par l'Allemagne des droits consacrés
à l'article 14 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil. Le Protocole
facultatif est entré en vigueur pour l'Allemagne le 25 novembre 1993. L'Allemagne
a formulé une réserve ratione temporis, ainsi qu'une réserve à l'égard
du paragraphe 2 a de l'article 5 du Protocole facultatif.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Les auteurs sont les héritiers des actifs d'une tannerie située à
Radom (Pologne) ou leurs ayants droit. Peu après l'occupation allemande,
pendant la Seconde Guerre mondiale, l'entreprise avait été confisquée
parce qu'elle appartenait à des Juifs, et été placée sous le contrôle
des autorités administratives mises en place en Pologne par le Reich.
Sous ce régime, d'importantes quantités de cuir provenant de la tannerie
avaient été expédiées à diverses reprises à Hanovre (Allemagne). En outre,
d'autres biens appartenant aux ancêtres des auteurs avaient été confisqués
ou saisis.
2.2 En novembre 1958, les auteurs et/ou d'autres membres de leur famille
ont demandé une indemnité pour le cuir expédié à Hanovre, ainsi que d'autres
actifs confisqués ou saisis, au titre des dispositions pertinentes de
la loi fédérale relative à la restitution des biens («Bundesrückerstattungsgesetz»).
En 1962, le tribunal de district de Berlin («Landgericht») a été saisi
de l'affaire. En 1971, les auteurs ont accepté un règlement à l'amiable
pour une partie de leurs revendications. Pour le reste de la plainte,
la procédure s'est poursuivie.
2.3 Dans des décisions partielles séparées, rendues en 1983 et 1987, le
tribunal de district de Hanovre a accordé aux auteurs une indemnité pour
d'autres actifs de la tannerie qui avaient été confisqués, cependant que
la procédure se poursuivait. En 1992, quelques-uns des auteurs ont confié
l'affaire à une société fiduciaire, réservant leur droit de demander une
indemnité pour les dommages causés par la durée excessive de la procédure.
En 1993, après la présentation de nouvelles preuves, le tribunal de district
a accordé une indemnité aux auteurs pour d'autres dommages matériels.
Le recours formé contre les décisions partielles de l'Allemagne a été
rejeté comme non fondé en deuxième et troisième instance. D'autres appels
concernant la décision les condamnant aux dépens ont eux aussi été rejetés.
À cette date, le montant total des indemnités accordées atteignait plusieurs
millions de deutsche mark.
2.4 En 1995, les auteurs ont accepté un règlement à l'amiable pour toutes
les demandes d'indemnité en suspens, moyennant un versement de 1 million
de deutsche mark.
2.5 En 1996, les auteurs ont saisi le tribunal de district de Hanovre
d'une demande de dédommagement en raison de la durée excessive de la procédure
concernant leur demande d'indemnité.
2.6 Le tribunal a rejeté la demande, considérant qu'en vertu de la loi
fédérale relative à la restitution des biens, seules sont autorisées les
demandes d'indemnité prévues dans ladite loi. L'appel de cette décision
formé par les auteurs a été rejeté en 1998 par le tribunal fédéral («Bundesgerichtshof»).
2.7 Les auteurs ont alors présenté une requête à la Commission européenne
des droits de l'homme au sujet de la durée excessive de la procédure.
En 1998, la Commission a déclaré que la demande des auteurs était irrecevable,
tous les recours possibles au regard de la loi allemande n'ayant pas été
épuisés, puisque les auteurs n'avaient ni engagé un recours en responsabilité
administrative («Amtshaftungsklage»), ni un recours constitutionnel («Verfassungsbeschwerde»)
auprès de la Cour constitutionnelle fédérale («Bundesverfassungsgericht»).
Décision concernant la recevabilité
3.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
3.2 Le Comité constate que, lorsqu'il a ratifié le Protocole facultatif
et reconnu que le Comité avait compétence pour recevoir et examiner des
communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction, l'État
partie a formulé à l'égard du paragraphe 2 a de l'article 5 du
Protocole facultatif la réserve ci-après:
L'État partie a formulé en outre, une réserve ratione temporis selon
laquelle la compétence du Comité serait exclue pour tout cas:
«qui a son origine dans des événements antérieurs à l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour la République fédérale d'Allemagne».
3.3 Le Comité relève que la plainte de l'auteur, qui dénonce la lenteur
de la procédure en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, s'applique
en grande partie à une procédure en instance avant le 25 novembre 1993,
date de l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie,
et qu'aucun point de cette plainte ne porte sur des événements intervenus
après 1995.
3.4 Le Comité relève en outre que les auteurs n'ont pas exercé tous les
recours qui leur étaient ouverts, notamment le recours en responsabilité
des autorités administratives («Amtshaftungsklage») ou un recours constitutionnel
(«Verfassungsbeschwerde»). C'est pourquoi la Commission européenne des
droits de l'homme a déclaré leur plainte irrecevable pour non-épuisement
des recours internes, condition de recevabilité qui est également énoncée
au paragraphe 2 b de l'article 5 du Protocole facultatif.
4. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier,
des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 a et b de l'article
5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et portée à la
connaissance de l'État partie.
________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen
de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Rafael
Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M.
Hipólito Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et
M. Maxwell Yalden.
Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Eckart
Klein n'a pas pris part à l'examen de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]