Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 août 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 998/2001 présentée
au nom de M. Rupert Althammer et consorts en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont M. Rupert Althammer et 11 autres citoyens
autrichiens résidant en Autriche. Ils se déclarent victimes d'une violation
par l'Autriche de l'article 26 du Pacte. Les auteurs sont représentés par
un conseil. (1) Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l'égard
de l'Autriche le 10 mars 1988.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs sont des employés en retraite de la Caisse de prévoyance
de Salzbourg (Salzburger Gebietskrankenkasse). Le conseil indique
qu'ils perçoivent une pension calculée selon les barèmes applicables du
Règlement A régissant les conditions d'emploi des salariés de la Caisse
de prévoyance (Dienstordnung A für die Angestellten bei den Sozialversicherungsträgern).
2.2 Parmi diverses prestations mensuelles, le Règlement prévoyait une allocation
de foyer de 220 schillings par mois et en ce qui concerne les pensionnés
ayant des enfants de moins de 27 ans, une prestation pour enfant de 260
schillings par enfant. Avec effet au 1er janvier 1996, le Règlement a été
modifié de telle sorte que l'allocation de foyer mensuelle a été supprimée
et la prestation pour enfant portée à 380 schillings par enfant.
2.3 Le 8 février 1996, les auteurs ont engagé une action devant le tribunal
de district de Salzbourg pour demander un jugement déclaratoire établissant
que la Caisse de prévoyance régionale de Salzbourg était tenue de continuer
de leur verser l'allocation de foyer en tant que partie intégrante de leur
pension de retraite. Le tribunal de district les a déboutés le 11 juin 1996.
Le tribunal a souligné que les prestations de retraite ne sont pas des droits
protégés contre d'éventuelles modifications ultérieures du cadre juridique
(wohlerworbene Rechte) à condition que celles-ci soient fondées sur
des motifs objectifs et qu'elles respectent le principe de proportionnalité.
Il a conclu que la suppression de l'allocation de foyer concernait non pas
des aspects essentiels de la pension de retraite, mais une prestation supplémentaire,
qu'elle était d'une ampleur modérée (0,4 à 0,8 % du montant de la pension),
et qu'elle était justifiée par le fait qu'en période de restrictions financières,
la décision d'utiliser les moyens financiers limités pour augmenter la prestation
pour enfant reposait sur des motifs légitimes de politique sociale. Le recours
introduit par les auteurs a été rejeté par la cour d'appel de Linz (Oberlandesgericht
Linz) le 22 avril 1997, dans un arrêt confirmant ce raisonnement. La
Cour suprême (Oberster Gerichtshof) a rejeté un nouveau recours en
révision le 7 janvier 1998. Tous les recours internes seraient donc épuisés.
2.4 Le conseil explique que les caisses régionales de prévoyance sont des
institutions de droit public et que le Règlement y relatif est un décret-loi
(Verordnung) qui régit la quasi-totalité des questions relatives
à l'emploi dans les caisses, notamment le montant des prestations de retraite
et leur mode de calcul, augmentations ou ajustements périodiques compris.
Il existe de nombreuses similitudes entre les régimes de pension (Betriebsrenten)
proposés par les employeurs privés et celui qui se fonde sur le Règlement.
Le Règlement a toutefois la particularité de pouvoir être modifié unilatéralement
par l'État partie, au moyen d'un décret-loi.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment que la modification du Règlement constitue une
violation de l'article 26 du Pacte. Bien qu'elle semble objective à première
vue, cette modification est discriminatoire en fait si l'on considère que
la plupart des retraités sont des chefs de famille ayant à charge un conjoint
mais plus d'enfants de moins de 27 ans. Les incidences de cette modification
sont donc plus graves pour les retraités que pour les salariés en activité
car elle revient en fait à supprimer entièrement le supplément pour personnes
à charge que percevaient les retraités. Les auteurs allèguent que ce résultat
préjudiciable était prévisible et délibérément recherché.
3.2 Les auteurs rappellent que cette modification est la troisième d'une
série de modifications visant à réduire le revenu des employés en retraite
(en ce qui concerne les modifications antérieures, voir les affaires nos
608/1995 (2) et 803/1998 (3)). De par l'effet cumulatif de
ces réductions, la présente affaire serait un cas d'arbitraire manifeste,
contraire au principe de l'égalité devant la loi. Il est déclaré en outre
que le fait que les tribunaux n'ont pas pris en considération l'effet cumulatif
de ces modifications parce qu'ils s'étaient limités à l'examen d'une seule
modification dans chaque affaire a eu pour conséquence de ne pas garantir
aux auteurs une protection égale et effective contre la discrimination au
sens de l'article 26 du Pacte.
3.3 Le conseil fait savoir que les mêmes faits font également l'objet d'une
requête que les auteurs ont présentée à la Commission européenne des droits
de l'homme, arguant d'une violation du droit à la protection de la propriété
(art. premier du premier Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l'homme). Il affirme que ceci n'a pas d'incidence sur la recevabilité
de la communication car le Pacte ne contient pas de disposition relative
au droit à la protection de la propriété et la Convention européenne ne
contient pas de disposition qui corresponde à celle de l'article 26 du Pacte.
Observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication
4.1 Dans les observations qu'il a déposées le 25 septembre 2001, l'État
partie conteste que la communication soit recevable. Il note que la présente
communication lui a déjà été transmise dans le cadre de la communication
no 803/1998. Il affirme donc que la communication est irrecevable en raison
d'une violation du principe ne bis in idem.
4.2 L'État partie note en outre que les requêtes déposées par les auteurs
devant la Commission européenne sur la base des mêmes faits que ceux dont
est saisi le Comité ont été transférées à la Cour européenne des droits
de l'homme conformément à l'article 5 (par. 2) du Protocole no 11 et que
la Cour les a déclarées irrecevables le 12 janvier 2001 parce qu'elles ne
faisaient pas apparaître de violation des droits et libertés consacrés dans
la Convention ou dans les protocoles s'y rapportant.
4.3 L'État partie rappelle la réserve qu'il a faite relativement à l'article
5 [par. 2 a)] du Protocole facultatif, (4) aux termes de laquelle
il ne reconnaît pas la compétence du Comité pour examiner toute communication
émanant d'un particulier lorsque la même question a été examinée par la
Commission européenne des droits de l'homme. L'État partie explique que
l'objet de cette réserve était précisément d'empêcher l'examen successif
des mêmes faits par les organes de Strasbourg et par le Comité. À cet égard,
il fait valoir que l'article 14 de la Convention européenne contient une
disposition interdisant la discrimination qui fait partie intégrante de
tous les autres droits et libertés consacrés par la Convention. Même si
les auteurs n'ont pas invoqué la violation de l'article 14 rapproché de
l'article premier du premier Protocole, l'État partie affirme que, le cas
échéant, la Cour examine d'office d'autres dispositions de la Convention.
À cet égard, l'État partie se réfère à la constatation de la Cour européenne
selon laquelle la requête des auteurs ne faisait apparaître aucune violation
des droits et libertés consacrés dans la Convention. Il conclut donc que
les auteurs présentent essentiellement la même question.
4.4 En outre, l'État partie affirme que la Cour européenne a examiné cette
même question au sens de l'article 5 [par. 2 a)] du Protocole facultatif
puisque sa décision d'irrecevabilité était fondée non sur des raisons de
forme mais sur des raisons de fond. À cet égard, l'État partie renvoie à
la jurisprudence antérieure du Comité. (5)
4.5 S'agissant de la mention, dans sa réserve, de la Commission européenne
des droits de l'homme, l'État partie rappelle qu'au moment où il a formulé
cette réserve en 1987, la Commission européenne était la seule instance
internationale d'enquête ou de règlement créée en vertu de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
que pouvait saisir un particulier. Comme suite à la restructuration des
organes de Strasbourg opérée par le Protocole no 11, la Cour européenne
assume désormais les tâches auparavant confiées à la Commission et devrait
être considérée comme le successeur de celle-ci en ce qui concerne les requêtes
de particuliers. L'État partie conclut que sa réserve vaut donc également
pour les requêtes dont est désormais saisie la Cour européenne.
Commentaires des auteurs sur les observations de l'État partie
5.1 Par une lettre datée du 15 octobre 2001, les auteurs répondent aux
observations de l'État partie en faisant valoir que la présente communication
n'est pas identique à la communication no 803/1998, même si elle a été initialement
examinée conjointement avec cette dernière. Le conseil affirme que les auteurs
des communications ne sont pas identiques et que les deux communications
concernent deux allégations distinctes de violation des droits que confère
le Pacte aux auteurs.
5.2 En ce qui concerne l'objection formulée par l'État partie conformément
à l'article 5 [par. 2 a)] du Protocole facultatif et la réserve qu'il a
faite à cet égard, le conseil affirme que lors de l'application ou de l'interprétation
d'une réserve, il convient tout d'abord de s'assurer que les termes qui
y sont employés sont suffisamment clairs et dépourvus d'ambiguïté, et que
c'est seulement si tel est le cas que l'on peut examiner le contexte, l'objet
et le but de la réserve. La réserve invoquée par l'État partie est sans
ambiguïté en ce sens qu'elle exclut les communications examinées par la
Commission européenne des droits de l'homme. Le conseil fait donc valoir
que cette réserve a perdu son champ d'application dès lors qu'est entré
en vigueur le Protocole no 11 à la Convention européenne et que rien ne
s'oppose donc, en vertu de l'article 5 [par. 2 a)] du Protocole facultatif,
à ce que la présente communication soit jugée recevable.
5.3 En ce qui concerne les arguments de l'État partie sur l'interprétation
de la réserve, le conseil affirme que même au moment où l'État partie l'a
émise, c'est la Cour européenne des droits de l'homme ou le Comité des ministres
qui prenait les décisions définitives et contraignantes, que le particulier
était pour beaucoup une partie à la procédure devant la Cour et que la Commission
était essentiellement chargée de l'établissement des faits et de l'examen
sélectif des requêtes.
5.4 En réponse à la déclaration de l'État partie sur la portée de sa réserve,
le conseil affirme que la Convention de Vienne sur le droit des traités
interdit le recours à des moyens complémentaires d'interprétation lorsque
le sens ordinaire, le contexte, l'objet et le but de l'instrument sont clairs
et soutient que ce que l'État partie avait l'intention de dire ne peut être
substitué à ce qu'il a dit effectivement.
5.5 Le conseil affirme aussi que les traités de sauvegarde des droits de
l'homme, et plus encore les réserves, doivent être interprétés dans un sens
favorable aux particuliers et que toute tentative pour élargir le champ
d'application d'une réserve doit être catégoriquement rejetée.
5.6 En ce qui concerne la question de savoir si la Cour européenne a ou
non examiné la même question, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité
à cet égard et conclut que «la même question» est une requête qui concerne
les mêmes particuliers, faits et allégations de violation des droits et
libertés fondamentaux. Le conseil note que la présente affaire concerne
les mêmes faits et personnes que la requête déposée auprès de la Cour européenne
des droits de l'homme mais qu'elle soulève des griefs entièrement différents,
puisque la communication présentée au Comité concerne des droits qui sont
protégés exclusivement par le Pacte (le droit à l'égalité) et que la requête
déposée en vertu de la Convention européenne concerne le droit à la protection
de la propriété qui est protégé uniquement par cette Convention et non par
le Pacte. À cet égard, le conseil affirme que la disposition de l'article
14 de la Convention européenne ne prévoit pas un droit principal à l'égalité
matérielle, mais un droit accessoire qui n'offre pas la même protection
que l'article 26 du Pacte. Le conseil réfute l'argument de l'État partie
selon lequel la Cour européenne examine d'office d'autres dispositions lorsque
les auteurs mentionnent des dispositions précises de la Convention. À cet
égard, le conseil cite le texte d'une lettre reçue du Greffe de la Cour
faisant valoir des objections à la recevabilité de la requête sur la base
de l'article premier du premier Protocole additionnel mais sans toutefois
mentionner l'article 14 de la Convention. Il affirme en outre qu'il ressort
de cette lettre que la Cour a déclaré irrecevable cette requête ratione
materiae parce que les prestations dues en vertu de régimes de pension
ne sont pas assimilables à des droits de propriété, et n'a donc pas analysé
l'effet des modifications du Règlement.
Observations supplémentaires de l'État partie
6.1 Dans les observations supplémentaires qu'il a déposées le 25 janvier
2002, l'État partie réaffirme ses arguments concernant la recevabilité de
la communication. En ce qui concerne sa réserve relative à l'article 5 [par.
2 a)] du Protocole facultatif, l'État partie note qu'il l'a émise conformément
à une recommandation du Comité des ministres en date du 15 mai 1970, afin
d'éliminer la possibilité de requêtes successives auprès des différents
organes. Si l'on se place sous cet angle, on ne peut conclure du libellé
de cette réserve que l'État partie avait l'intention de s'écarter de la
recommandation du Comité des ministres. L'État partie mentionne aussi la
procédure interne concernant la ratification du Protocole facultatif: il
rappelle que la Cour européenne est le successeur juridique de la Commission
européenne et considère que l'argument du conseil sur le rôle de la Commission
n'a aucune incidence sur la succession juridique, du fait en particulier
que la réserve de l'État partie concernait le devoir de la Commission de
décider de la recevabilité d'une requête et d'en faire une première évaluation
au fond. L'État partie rejette aussi l'argument du conseil selon lequel
son interprétation élargit le champ d'application de la réserve, celle-ci
ayant aujourd'hui la même portée que celle qu'elle avait au moment où elle
a été formulée. De plus, l'État partie affirme qu'on ne pouvait en aucune
façon prévoir en 1987 que le mécanisme de protection prévu par la Convention
serait modifié.
6.2 Pour ce qui est de l'argument des auteurs selon lequel leur requête
n'a pas été examinée par la Cour européenne des droits de l'homme au sens
de cette réserve, l'État partie fait valoir que le rejet d'une requête par
la Cour européenne conformément à l'article 35 (par. 3 et 4) de la Convention
présuppose un examen au fond, si bien que la procédure d'examen de la recevabilité
comprend une évaluation - ne serait-ce que sommaire - du bien-fondé
de l'allégation de violation de la Convention. L'Etat partie réaffirme donc
que la communication devrait être déclarée irrecevable compte tenu de sa
réserve relative à l'article 5 [par. 2 a)].
6.3 Quant au fond de la communication, l'Etat partie note que la présente
communication a exactement le même libellé que celle qui lui a été adressée
dans le cadre de la communication no 803/1998, et il renvoie aux observations
qu'il avait faites à propos de cette communication antérieure. Dans ses
observations, l'État partie a fait valoir que l'effet des modifications
ne pouvait être considéré comme de nature discriminatoire. Il explique que
le Règlement n'est pas un décret, mais une convention collective à laquelle
les auteurs sont parties et qui est conclue entre l'Association des caisses
de prévoyance et le syndicat.
6.4 L'État partie affirme en outre que la suppression des allocations de
foyer ne constitue pas une discrimination puisque cette mesure touche tout
autant les actifs que les retraités. Il a été calculé que cette suppression
entraînerait une réduction de 0,4 à 0,8 % du montant total de la pension,
ce qui, selon l'État partie, ne peut être considéré comme déraisonnable.
Commentaires de l'auteur sur les observations supplémentaires
de l'État partie
7.1 Par une lettre datée du 3 mars 2002, les auteurs réaffirment que la
présente communication est distincte de la communication initiale no 803/1998.
Ils ajoutent qu'il ne leur appartient pas de décider de joindre la communication
au dossier de l'affaire no 803/1998 ou de la traiter comme une nouvelle
affaire.
7.2 Les auteurs contestent les explications données par l'État partie sur
la raison d'être de sa réserve et notent que la recommandation du Comité
des ministres était de portée plus large que celle de la réserve effectivement
faite. Ils soulignent aussi que sur les 35 États qui sont parties à la fois
au Protocole facultatif et à la Convention européenne, 17 seulement ont
fait une réserve relativement à l'article 5 [par. 2 a)] du Protocole facultatif.
Ils affirment que la mention faite de l'intention de l'État partie ne peut
l'absoudre du texte de sa réserve. Ils objectent aussi à la déclaration
de l'État partie, selon laquelle le champ d'application de la réserve ne
se trouve pas élargi par une interprétation plus large de celle-ci, que
sans une telle interprétation, la réserve ne serait tout simplement pas
applicable.
7.3 Le conseil conteste aussi l'analyse faite par l'État partie des fonctions
de la Commission européenne et de la Cour européenne et affirme en outre
que des discussions sur la fusion de la Commission et de la Cour étaient
engagées depuis 1982, c'est-à-dire dès avant la date de la réserve de l'État
partie, et que l'on pouvait donc s'attendre à l'époque à des modifications
du mécanisme européen de protection des droits de l'homme.
7.4 Les auteurs réaffirment que la suppression de l'allocation de foyer
a un effet discriminatoire parce qu'elle touche plus fortement les employés
en retraite que les employés en activité, lesquels ont plus de chances de
toucher les prestations pour enfants que les employés en retraite. Ils notent
que l'État partie n'a pas traité de ces arguments dans ses observations.
7.5 Dans une autre lettre datée du 23 avril 2002, le conseil présente des
données récentes sur les incidences financières des modifications apportées
au Règlement. Pour les retraités, la perte de revenu causée par l'effet
cumulatif de la modification de 1992 (qui fait l'objet de la communication
no 608/1995), de la modification de 1994 (objet de la communication no 803/1998)
et de la modification de 1996, objet de la présente communication, dans
la période 1994-2001, s'inscrit dans une fourchette allant de 34 916 schillings
à 141 757 schillings. (6)
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 Le Comité a noté l'argument de l'État partie selon lequel la communication
est irrecevable parce qu'elle a été transmise antérieurement dans le cadre
de la communication no 803/1998. Il fait observer que sa décision d'irrecevabilité
en date du 21 mars 2002 concernant la communication no 803/1998 n'a aucun
rapport avec la teneur de la présente communication. En conséquence, le
Comité n'a pas encore examiné la plainte contenue dans la présente communication
et l'objection de l'État partie à cet égard ne peut donc être retenue.
8.3 Le Comité note que l'État partie a invoqué la réserve qu'il a faite
en vertu de l'article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif aux termes
de laquelle le Comité ne peut connaître d'aucune communication qui a déjà
été «examinée» par la «Commission européenne des droits de l'homme». S'agissant
de l'argument des auteurs selon lequel la requête qui avait été soumise
à la Commission européenne n'a, de fait, jamais été examinée par cet organe
mais a été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l'homme,
le Comité observe que la Cour européenne, par suite des modifications apportées
à la Convention par le Protocole no 11, a juridiquement repris les fonctions
précédemment exercées par la Commission européenne, consistant à recevoir
les requêtes présentées en vertu de la Convention européenne, à se prononcer
sur leur recevabilité et à procéder à une première évaluation quant à leur
bien-fondé. Le Comité observe, aux fins de déterminer l'existence de procédures
parallèles ou, selon le cas, successives devant le Comité et devant les
organes de Strasbourg, que la nouvelle Cour européenne des droits de l'homme
a succédé à l'ancienne Commission européenne dont elle a repris les fonctions.
8.4 Ayant conclu que la réserve de l'État partie s'applique, le Comité
doit examiner la question de savoir si la présente communication a le même
objet que celle qui a été présentée dans le cadre du mécanisme européen.
À cet égard, le Comité rappelle que «la même question» concerne les mêmes
auteurs, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. Dans des affaires
précédentes, le Comité a déjà décidé que le droit principal à l'égalité
et à la non-discrimination consacré par l'article 26 du Pacte fournissait
une plus grande protection que le droit accessoire à la non-discrimination
énoncé à l'article 14 de la Convention européenne. Le Comité a pris acte
de la décision prise par la Cour européenne le 12 janvier 2001 de déclarer
irrecevable la requête des auteurs ainsi que de la lettre du Greffe de la
Cour exposant les différents motifs possibles d'irrecevabilité. Il note
que la requête des auteurs a été rejetée parce qu'elle ne faisait apparaître
aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou les
Protocoles s'y rapportant, étant donné qu'elle ne soulevait pas de questions
relevant du droit à la protection de la propriété visé à l'article premier
du premier Protocole. Par conséquent, en l'absence d'allégation distincte
au titre de la Convention ou des Protocoles s'y rapportant, la Cour ne pouvait
avoir examiné la question de savoir si les droits accessoires des auteurs
au titre de l'article 14 de la Convention avaient été bafoués. Au vu des
circonstances de la présente affaire, le Comité conclut donc que la question
de savoir si les droits des auteurs à l'égalité devant la loi et à la non-discrimination
ont ou non été violés en vertu de l'article 26 du Pacte n'est pas la même
question que celle dont était saisie la Cour européenne.
8.5 Le Comité s'est assuré que les auteurs ont épuisé tous les recours
internes aux fins de l'article 5 [par. 2 b)] du Protocole facultatif.
9. En conséquence, le Comité décide que la communication est recevable.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par
les parties, ainsi que le prévoit l'article 5 (par. 1) du Protocole facultatif.
10.2 Les auteurs affirment être victimes d'une discrimination parce que
la suppression de l'allocation de foyer les touche plus fortement, en tant
que retraités, qu'elle ne touche les employés en activité. Le Comité rappelle
qu'une violation de l'article 26 peut également résulter de l'effet discriminatoire
d'une règle ou d'une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention
discriminatoire. (7) Toutefois, on ne peut dire qu'une telle discrimination
indirecte est fondée sur les motifs énumérés à l'article 26 du Pacte que
si les effets préjudiciables d'une règle ou d'une décision affectent exclusivement
ou de manière disproportionnée des personnes particulières en raison de
leur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou toute autre
opinion, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre
situation. En outre, des règles ou décisions ayant une telle incidence ne
constituent pas une discrimination si elles sont fondées sur des motifs
objectifs et raisonnables. En l'occurrence, la suppression de l'allocation
mensuelle de foyer conjuguée à l'augmentation de la prestation pour enfant
est préjudiciable, non seulement aux retraités, mais aussi aux salariés
en activité n'ayant pas (encore ou plus) d'enfants dans la tranche d'âge
pertinente, et les auteurs n'ont pas démontré que l'incidence de ces mesures
pour eux avait un caractère disproportionné. À supposer même, à titre d'hypothèse,
qu'une telle incidence puisse être démontrée, le Comité considère que la
mesure, comme l'ont souligné les juridictions autrichiennes (par. 2.3 ci-dessus)
était fondée sur des motifs objectifs et raisonnables. Pour ces raisons,
le Comité conclut que, dans les circonstances de la présente affaire, la
suppression de l'allocation mensuelle de foyer, même examinée à la lumière
des modifications antérieures du Règlement régissant les conditions d'emploi
des salariés de la Caisse de prévoyance, ne peut être considérée comme une
discrimination telle qu'interdite à l'article 26 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu de l'article 5 (par.
4) du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne font
apparaître de violation d'aucun des droits consacrés par le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
_____________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero
Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin,
M. Ahmed Tawfik Kalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin
Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.
Notes
1. Une communication antérieure présentée par plusieurs des mêmes auteurs
a été enregistrée sous le numéro 803/1998 et déclarée irrecevable par le
Comité le 21 mars 2002.
2. Voir CCPR/C/57/D/608/1995, décision du Comité en date du 22 juillet
1996 déclarant la communication irrecevable.
3. Voir CCPR/C/74/D/803/1998, décision du Comité en date du 21 mars 2002
déclarant la communication irrecevable.
4. En ratifiant le Protocole facultatif le 10 décembre 1987, l'État partie
a formulé la condition suivante: «Étant entendu que, conformément aux dispositions
de l'article 5 (par. 2) du Protocole, le Comité prévu à l'article 28 du
Pacte n'examinera aucune communication d'un particulier sans être assuré
que la même question n'a pas été examinée par la Commission européenne des
droits de l'homme instituée par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.».
5. Communication no 452/1991 (Glaziou c. France), déclarée
irrecevable le 18 juillet 1994.
6. Un euro vaut 13,7603 schillings.
7. Voir l'observation générale no 18 du Comité relative à la non-discrimination
et les constatations adoptées par le Comité le 19 juillet 1995 dans l'affaire
no 516/1992 (Simunek et consorts c. République tchèque) (CCPR/C/54/D/516/1992,
par. 11.7).