University of Minnesota


La Pratique des Expulsions Forcees : Directives Generales Pour le Respect des Droits de L'homme en Cas de Deplacement lie au Developpement


Préambule

Le Séminaire d'experts sur la pratique des expulsions forcées,

Rappelant les normes relatives aux droits de l'homme consacrées dans la Charte internationale des droits de l'homme,

Considérant qu'un grand nombre de résolutions, décisions, observations générales, jugements, traités et autres instruments ont reconnu et réaffirmé que les expulsions forcées étaient contraires à des droits de l'homme internationalement reconnus, nombreux et très divers,

Rappelant la décision 1996/290 du Conseil économique et social, la résolution 1993/77 de la Commission des droits de l'homme et la résolution 1996/27 de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités,

Réaffirmant que le droit international impose aux Etats l'obligation de respecter et de faire respecter les droits de l'homme et le droit humanitaire, et notamment de prévenir les violations, d'enquêter sur les infractions, de sanctionner les coupables et d'offrir aux victimes des voies de recours et de réparation,

Réaffirmant que le développement est un processus global, économique, social, culturel et politique, qui vise à améliorer sans cesse le bien-être de l'ensemble de la population et de tous les individus, sur la base de leur participation active, libre et significative au développement et au partage équitable des bienfaits qui en découlent,

Rappelant que la Déclaration et Programme d'action de Vienne disposent que si le développement favorise la jouissance de tous les droits de l'homme l'insuffisance de développement ne peut être invoquée pour justifier une limitation des droits de l'homme internationalement reconnus,

Conscient que la pratique des expulsions forcées est un phénomène largement répandu qui peut apparaître dans des situations variées, notamment mais non exclusivement en cas de contentieux foncier, de projets de développement et de réalisation d'ouvrages d'infrastructure (construction de barrages ou autres grands ouvrages de production d'énergie, acquisitions de terrains dans le cadre de la rénovation urbaine, rénovation de logements, embellissement des villes, défrichage pour l'agriculture ou l'aménagement macro-urbain), de spéculation foncière massive ou de grandes manifestations internationales telles que les Jeux olympiques,

Conscient que les expulsions forcées exacerbent les tensions et les inégalités sociales et frappent invariablement les couches de la société les plus pauvres et les plus vulnérables sur le plan socio-économique, en particulier les femmes, les enfants et les populations autochtones,

Ayant à l'esprit les directives élaborées par les institutions financières internationales et d'autres organisations concernant les déplacements et les réinstallations forcés,

Résolu à protéger les droits de l'homme et à prévenir les atteintes qu'ils subissent du fait des expulsions forcées,

Adopte les directives dont le texte suit.

I. GENERALITES

Portée et nature des Directives

1. Les présentes Directives portent sur les incidences du point de vue des droits de l'homme des expulsions forcées liées aux déplacements provoqués par le développement urbain et rural. Elles s'inspirent du droit international relatif aux droits de l'homme et du droit international humanitaire et devraient faire l'objet d'une application aussi large que possible.

2. Les présentes Directives s'appliquent, compte dûment tenu des définitions de l'expulsion forcée que donnent les dispositions et les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, aux cas d'expulsion forcée où un acte et/ou une omission a pour effet d'évincer contre leur gré des personnes, des groupes ou des communautés des foyers et/ou des terres qu'ils occupent et des ressources collectives dont ils sont tributaires, les empêchant de vivre ou de travailler dans un logement, une résidence ou un lieu donné, ou restreignant leurs possibilités dans ce domaine.

3. Bien qu'il existe de nombreuses similitudes entre les expulsions forcées et les déplacements de personnes dans leur propre pays, les transferts de population, les expulsions massives, les exodes, l'épuration ethnique et d'autres pratiques visant à évincer contre leur volonté des personnes de leurs foyers ou de leurs terres et à les séparer de leur communauté, les expulsions forcées constituent une pratique distincte au regard du droit international. Les personnes, communautés et groupes soumis à une mesure ou une menace d'expulsion forcée forment donc un groupe particulier au sens du droit international relatif aux droits de l'homme.

4. Les expulsions forcées enfreignent à priori des droits de l'homme internationalement reconnus très divers. Elles ne peuvent être pratiquées que dans des circonstances exceptionnelles et dans le plein respect des présentes Directives et du droit international relatif aux droits de l'homme.

II. OBLIGATIONS GENERALES

5. Si les expulsions forcées peuvent être exécutées, approuvées, demandées, proposées, mises en oeuvre ou tolérées par divers intervenants, c'est aux Etats qu'en incombe la responsabilité finale en droit international. Cela ne dégage pas pour autant de leurs obligations les autres parties en cause, en particulier les puissances occupantes, les institutions ou organisations internationales financières ou autres, les sociétés transnationales et les tiers, y compris les loueurs et les propriétaires publics ou privés de logements ou de terrains.

6. Les Etats devraient imposer à toute personne ou entité publique ou privée relevant de leur juridiction des sanctions civiles ou pénales appropriées en cas d'expulsion forcée ne respectant pas pleinement le droit applicable et les présentes Directives.

7. Les Etats devraient, par l'intermédiaire des mécanismes juridiques internationaux appropriés, s'opposer aux expulsions forcées opérées dans d'autres Etats, lorsque ces expulsions ne sont pas pleinement conformes aux présentes Directives et aux dispositions applicables du droit international relatif aux droits de l'homme.

8. Les Etats devraient veiller à ce que les organisations internationales où ils sont représentés s'abstiennent de parrainer ou de mettre à exécution un projet, un programme ou une mesure pouvant entraîner des expulsions forcées qui ne seraient pas pleinement conformes au droit international et aux présentes Directives.

III. OBLIGATIONS PARTICULIERES EN MATIERE DE PREVENTION

Obligation d'assurer le plus haut degré de protection effective

9. Les Etats devraient assurer par tous les moyens appropriés, y compris la garantie de la jouissance des droits fonciers, le plus haut degré de protection effective contre la pratique des expulsions forcées à toute personne placée sous leur juridiction. Ils devraient accorder une attention particulière aux droits des populations autochtones, des enfants et des femmes, notamment celles qui sont chefs de famille, et d'autres groupes vulnérables. Ces obligations sont d'application directe et immédiate et aucune considération de ressources ne peut les atténuer.

10. Les Etats devraient s'abstenir d'adopter des mesures délibérément régressives en matière de protection de droit ou de fait contre les expulsions forcées.

11. Les Etats devraient veiller à mettre à la disposition de quiconque allègue que son droit à être protégé des expulsions forcées a été violé ou est menacé, des recours juridiques ou autres utiles et appropriés.

12. Les Etats devraient faire procéder à l'étude des conséquences des expulsions avant de lancer des projets pouvant provoquer des déplacements liés au développement, de manière à garantir le plein respect des droits fondamentaux de toutes les personnes et communautés et de tous les groupes susceptibles d'être touchés.

Obligation d'éviter la privation d'abri

13. Les Etats devraient veiller à ce qu'aucune personne, aucun groupe ni aucune communauté ne se trouve sans abri ni victime de toute autre violation de ses droits fondamentaux du fait d'une expulsion forcée.

Obligation d'adopter des mesures législatives et des politiques appropriées

14. Les Etats devraient procéder à l'examen approfondi de leur législation en vue de la conformer aux normes fixées dans les présentes Directives et aux autres dispositions applicables du droit international relatif aux droits de l'homme. Ils devraient à cet égard prendre des mesures spéciales pour s'assurer qu'il n'existe aucune forme de discrimination légale ou autre en matière de patrimoine, de logement et d'accès aux ressources.

15. Les Etats devraient adopter des lois et des politiques protégeant les personnes, les groupes et les communautés des expulsions forcées, compte dûment tenu de leur intérêt supérieur. Les Etats sont encouragés à adopter des dispositions constitutionnelles à cet effet.

Obligation d'examiner toutes les autres solutions possibles

16. Les Etats devraient examiner toutes les solutions autres que les expulsions forcées. Toutes les personnes concernées, notamment les femmes, les enfants et les populations autochtones, ont droit à être pleinement informées et d'être pleinement associées, par voie de participation et de consultation, à l'ensemble du processus et de proposer des solutions de remplacement. Si les personnes, les communautés et les groupes concernés et l'entité proposant l'expulsion forcée ne parviennent pas à s'entendre sur une solution de remplacement, il peut être fait appel à un organisme indépendant, tel qu'une instance judiciaire, un tribunal ou un médiateur.

Obligation de ne procéder à l'expropriation qu'en dernier recours

17. Les Etats devraient s'abstenir dans toute la mesure possible d'acquérir des logements ou des terres par voie d'expropriation, sauf si cette mesure est légitime et nécessaire et vise à favoriser la jouissance des droits de l'homme, par exemple dans le cadre d'une réforme agraire ou d'une redistribution des terres. Si, en dernier recours, l'Etat s'estime contraint d'entamer une procédure d'expropriation, celle-ci doit : 1) être définie et prévue par les textes législatifs et réglementaires régissant l'expulsion forcée, dans la mesure où ces textes sont compatibles avec les droits de l'homme internationalement reconnus; 2) viser uniquement le bien public dans une société démocratique; 3) être raisonnable et proportionnée à son objet; 4) être conforme aux présentes Directives.

IV. DROITS DE LA PERSONNE

Intégrité du domicile

18. Chacun a droit à un logement convenable, ce qui suppose notamment le droit à l'intégrité du domicile, à l'accès aux ressources collectives et à la protection de celles-ci. Le domicile et ses occupants sont protégés contre tout acte de violence, toute menace de violence ou autre forme de harcèlement, en particulier à l'encontre des femmes et des enfants. Le domicile et ses occupants sont en outre protégés de toute ingérence arbitraire ou illicite.

Garantie de jouissance

19. Le droit de chacun à jouir de son bien est garanti, ce qui suppose que chacun bénéficie d'une protection juridique suffisante contre l'éviction forcée de son domicile ou de ses terres.

20. Les présentes Directives s'appliquent à toutes les personnes, tous les groupes et toutes les communautés indépendamment de leur titre d'occupation.

V. RECOURS LEGAUX

21. Toute personne menacée d'une expulsion forcée, indépendamment des motifs ou du fondement juridique de cette mesure, a droit :

a) à faire entendre sa cause devant une instance ou un tribunal compétent, impartial et indépendant;

b) à se faire assister d'un conseil et, au besoin, à bénéficier d'une aide juridique suffisante;

c) à disposer de recours utiles.

22. Les Etats devraient adopter des dispositions législatives visant à interdire toute expulsion forcée sans décision de justice. Le tribunal doit prendre en considération toutes les circonstances de la situation des personnes, des communautés et des groupes touchés et rendre une décision pleinement conforme aux principes d'égalité et de justice et aux droits de l'homme internationalement reconnus.

23. Chacun a le droit de faire appel devant l'autorité judiciaire nationale suprême de toute décision judiciaire ou autre touchant ses droits tels qu'ils sont énoncés dans les présentes Directives.

Indemnisation

24. Toute personne victime d'une expulsion forcée qui ne serait pas pleinement conforme aux présentes Directives devrait être indemnisée pour les terrains ou les biens personnels, immobiliers ou autres, y compris des droits ou intérêts immobiliers non reconnus dans la législation nationale, qu'elle perd du fait de cette expulsion. L'indemnisation doit prendre la forme de terres et de ressources collectives accessibles et ne pas se limiter à un règlement en espèces.

Restitution et retour

25. Toutes les personnes, tous les groupes et toutes les communautés victimes d'une expulsion forcée ont le droit, mais non l'obligation, de réintégrer leur domicile, leurs terres ou leur lieu d'origine.

Réinstallation

26. En dépit des présentes Directives, il peut arriver que, dans l'intérêt public ou pour des raisons de sécurité, de santé ou de promotion des droits de l'homme, certaines personnes, certains groupes ou certaines communautés fassent l'objet de mesures de réinstallation. Ces mesures doivent être appliquées de manière juste et équitable et en pleine conformité avec les lois d'application générale.

27. Toutes les personnes, tous les groupes et toutes les communautés jouissent du droit d'être réinstallés convenablement, ce qui comprend le droit à des terrains ou des logements de remplacement sans danger, sûrs, accessibles, abordables et habitables.

28. Pour s'assurer que les conditions de réinstallation sont conformes aux présentes Directives, les Etats devraient appliquer systématiquement les critères suivants :

a) Aucune opération de réinstallation n'est entreprise sans qu'ait été adoptée en la matière une politique conforme aux présentes Directives et aux droits de l'homme internationalement reconnus;

b) La réinstallation assure l'égalité des droits des femmes, des enfants, des populations autochtones et des autres groupes vulnérables, y compris du droit à la propriété et de l'accès aux ressources. Les politiques en matière de réinstallation s'assortissent de programmes tendant à favoriser l'accès des femmes à l'éducation, à la santé, à la protection familiale et à l'emploi;

c) La partie qui propose et/ou réalise l'opération de réinstallation est légalement tenue d'en supporter le coût, y compris les frais de réinstallation proprement dits;

d) Aucun particulier ni groupe n'est lésé dans ses droits fondamentaux ni dans son droit à l'amélioration constante de ses conditions de vie. Ce principe s'applique de la même manière aux communautés d'accueil sur les sites de réinstallation et aux personnes, communautés et groupes touchés par la mesure d'expulsion forcée;

e) Les personnes, communautés et groupes touchés donnent leur consentement éclairé pour le choix du lieu de réinstallation. L'Etat fournit les équipements et les services nécessaires et assure les débouchés économiques;

f) Les personnes, communautés et groupes touchés reçoivent des informations suffisantes sur les projets publics et la planification et l'exécution des opérations de réinstallation, y compris sur la réaffectation du logement ou du site évacué et sur les personnes, les communautés ou les groupes qui en bénéficieront. On veille tout particulièrement à associer les peuples autochtones, les minorités ethniques, les paysans sans terre, les femmes et les enfants à ce processus;

g) L'ensemble des opérations de réinstallation est conduit en consultation et en collaboration avec les personnes, les communautés et les groupes touchés. En particulier, les Etats prennent en considération les solutions de remplacement proposées par les personnes, les communautés et les groupes touchés;

h) Si une enquête publique complète et équitable fait apparaître la nécessité de procéder à une réinstallation, les personnes, communautés et groupes touchés en sont informés avec un préavis d'au moins 90 jours;

i) Des représentants des pouvoirs publics et des observateurs neutres, identifiés comme tels, sont présents au cours de l'opération de réinstallation et veillent à ce qu'il n'est pas fait usage de la force, de la violence ou de l'intimidation.

VI. CONTROLE

29. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme et les autres institutions des Nations Unies qui s'occupent des droits de l'homme devraient s'efforcer par tous les moyens d'assurer le plein respect des présentes Directives.

VII. CLAUSE DE SAUVEGARDE

30. Les présentes Directives s'appliquent sans préjudice des dispositions des instruments internationaux ou des législations nationales qui garantissent la jouissance de l'ensemble des droits de l'homme en cas d'expulsion forcée.


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