MANUEL DE FORMATION SUR LA SURVEILLANCE DES DROITS HUMAINS
CHAPITRE 18 : LE CONTEXTE DES NORMES DE MONITORING DE
L'ONU
MATIÈRES
A. Introduction
B. L'Évolution des Normes de Monitoring des Nations Unies
C. Les Normes du Monitoring Hors des Nations Unies
1. Un grand nombre des principes et des démarches de monitoring présentés dans ce manuel trouvent leur origine dans les efforts antérieurs de l'ONU et autres organisations internationales, en vue d'orienter l'établissement des faits. Ce chapitre se penche sur ces origines, et situe ainsi le Manuel dans son contexte historique.
B. L'ÉVOLUTION DES NORMES DE MONITORING DES NATIONS UNIES
2. On dispose de divers ensembles de procédures permettant de contribuer à piloter l'établissement des faits. La première codification internationale de procédure d'établissement des faits est la Convention de La Haye sur le règlement pacifique des conflits de 1907, 36 Stat. 2199, T.S. No. 536. Elle établissait une commission d'enquête, constituée en accord entre deux États en conflit, et disposait des règles de procédures aux fins de cette enquête. Même si ce mécanisme d'enquête prévu par la Convention de La Haye n'a que peu servi en tant que tel, ses règles de procédure continuent de fonctionner comme modèles d'établissement des faits, utilisés par exemple pour l'élaboration du présent manuel.
3. C'est en 1970 que le Secrétaire général a édicté des Modèles provisoires de règles concernant les procédures d'établissement des faits pour les organes des Nations Unies traitant des violations de droits de l'homme. La version adoptée en 1974 par le Conseil économique et social de ces Modèles provisoires était certes abrégée, mais elle a servi de cadre aux règlements des commissions d'établissement des faits. Ces vingt-cinq règles se répartissent en onze chapitres, couvrant le champ d'application, la constitution de l'organisme ad hoc, l'ordre du jour des réunions, les fonctionnaires, le secrétariat, les langues, le vote et la conduite des affaires, la coopération avec les États membres, les témoignages oraux et écrits et autres sources d'informations, les archives, et les rapports. Les règles autorisent une commission à émettre des recommandations, ainsi qu'à publier des rapports minoritaires. Elles permettent encore aux États concernés de soumettre des éléments de preuve, de se désigner un représentant, et d'interroger les témoins, mais ne lui permettent pas de présenter des recommandations concernant l'ordre du jour, ni de faire obstacle à la présence des témoins. Le consentement de l'État concerné est requis pour que l'organisme ad hoc pénètre sur son territoire. Tout élément probant est admissible, mais son usage est sujet à la discrétion de la commission. Les témoins déposent sous serment, et les membres de la commission s'engagent (jurent, promettent, etc.) à accomplir leurs devoirs "avec honneur, fidélité, impartialité et conscience". Toute audience peut être conduite par un seul membre, ou davantage.
4. On trouvera un état plus récent des normes générales dans la Déclaration concernant les activités d'établissement des faits de l'Organisation des Nations Unies en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales, UN Doc. A/RES/46/59, Annexe (1992), adoptée par l'Assemblée générale le 9 décembre 1991, qui fournit entre autres les principes suivants :
1. Pour s'acquitter de leurs fonctions en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales, les organes compétents de l'Organisation des Nations Unies devraient s'efforcer d'acquérir une pleine connaissance de tous les faits pertinents. À cette fin, ils devraient envisager d'entreprendre des activités d'établissement des faits.
2. Aux fins du présent document, on entend par "établissement des faits" toute activité destinée à acquérir une connaissance détaillée des aspects pertinents de tout différend ou de toute situation dont les organes compétents de l'Organisation des Nations Unies ont besoin pour s'acquitter efficacement de leurs fonctions en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
6. L'envoi d'une mission d'établissement des faits de l'Organisation des Nations Unies dans le territoire d'un État exige le consentement préalable du dit État, sous réserve des dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies.
16. Lorsqu'ils envisagent la possibilité d'entreprendre une mission d'établissement des faits, les organes compétents des Nations Unies devraient tenir compte des autres efforts entrepris à cette fin, y compris ceux des États intéressés et ceux menés dans le cadre d'arrangements ou d'organismes régionaux.
17. Dans sa décision visant à mettre en place des activités d'établissement des faits, l'organe compétent de l'Organisation des Nations Unies devrait toujours énoncer clairement le mandat de la mission d'établissement des faits et définir des critères précis pour le rapport de celle-ci. Ce rapport devrait uniquement contenir des éléments de fait.
25. Les missions d'établissement des faits sont tenues d'agir en stricte conformité avec leur mandat et de s'acquitter de leur tâche de manière impartiale. Leurs membres sont tenus de ne pas solliciter ni accepter d'instructions d'aucun gouvernement ni d'autre autorité que l'organe de l'Organisation des Nations Unies qui les envoie. Ils devraient tenir confidentielles les informations acquises dans l'exercice de leurs fonctions, même après que la mission a terminé sa tâche.
26. À tout moment du processus d'établissement des faits, les États directement concernés devraient avoir la possibilité de faire connaître leurs vues concernant les faits que la mission a été chargée d'établir. Lorsque les résultats des activités d'établissement des faits doivent être rendus publics, les vues exprimées par les États directement concernés devraient, si ceux-ci le souhaitent, également être rendues publiques.
5. À mesure qu'évoluait l'expérience acquise au sein de l'ONU, de l'OSCE et d'autres opérations internationales de droits de l'homme, on a vu se développer de nouvelles normes de monitoring. On trouve par exemple un résumé de ces normes et pratiques dans la Guía Metodológica para el Trabajo de la División de Derechos Humanos de la Misión de Observadores de las Naciones Unidas para El Salvador (Directives pour les travaux de la Division des droits de l'homme de la mission d'observation des Nations Unies en El Salvador) (ONUSAL, 1992); dans le Manuel d'Haïti de la Mission civile internationale en Haïti (ONU/OAS - MICIVIH, 1993); dans le Manuel de Vérification de la Mission des Nations Unies au Guatemala (MINIGUA, 1994); dans les Directives de terrain de la Mission de droits de l'homme au Rwanda (MINUAR, 1996); dans le Guide de terrain du Haut commissaire/Centre des droits de l'homme pour les observateurs de la force de police internationale pour la mission de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine et les fonctionnaires CIVPOL de l'Administration de transition des Nations Unies en Slavonie orientale (1996). Ce sont ces normes, ces pratiques, ces expériences, qui ont servi de base directe au présent Manuel.
6. Même si chaque mission de terrain relative aux droits de l'homme reçoit son mandat propre du Conseil de sécurité, ou du fait d'un accord passé avec le gouvernement hôte, nombre de missions ont reçu des mandats semblables à celui de la Mission d'observation des Nations Unies en El Salvador (ONUSAL) :
"le mandat de la Mission comprendra les pouvoirs suivants :
a. vérifier l'observation des droits de l'homme en El Salvador";
b. recevoir toute communication émanant d'individus, groupes d'individus
ou organisation en El Salvador, contenant des rapports relatifs à des
violations des droits de l'homme;
c. rendre visite à tout lieu ou établissement, librement et sans
avis préalable;
d. tenir ses réunions librement en tout lieu du territoire national;
e. s'entretenir librement et en privé avec tout individu, groupe d'individus
ou membres d'organisations ou d'institutions;
f. rassembler par tout moyen jugé approprié toutes informations
considérées comme pertinentes."
7. Si, dans la procédure, un pareil mandat peut sembler tout à fait complet et adéquat, le défi réellement rencontré par la plupart des missions de droits de l'homme a de fait consisté à employer ces techniques face à l'opposition d'autorités non informées de ce mandat, ou à la résistance dissimulée d'autorités nationales souhaitant mettre à l'épreuve la détermination de la mission de droits de l'homme de l'ONU.
C. LES NORMES DU MONITORING HORS DES NATIONS UNIES
8. En outre, certaines organisations régionales ont mis en place des normes de monitoring relatives au processus d'établissement des faits. Ainsi, la Commission inter-américaine possède l'une des procédures les mieux élaborées et les plus respectées pour l'établissement des faits sur le terrain. Elle a couvert un grand nombre d'observations sur site en conjonction avec des enquêtes concernant les droits de l'homme dans ses États membres (cf. Edmundo Vargas, "Visits on the Spot : The Experience of the Inter-American Commission on Human Rights", in International Law and Fact-Finding in the Field of Human Rights 137-150 [Bertie Ramcharan (éd.), 1982]).
9. Nombre d'organisations intergouvernementales ont elles aussi formulé des procédures d'établissement des faits qui leur sont propres. Par ailleurs, l'Association internationale des juristes, réunie à Belgrade en 1980, a adopté par consensus un ensemble de règles ouvertement destinées à l'usage des organisations intergouvernementales et non-gouvernementales, mais concrètement mieux adaptées aux efforts d'établissement des faits entrepris par les organisations intergouvernementales ("The Belgrade Minimum Rules of Procedure for International Human Rights Fact-finding Visits", 75 Am. J. Int'l L. 163, 1981).
10. Divers auteurs se sont penchés sur les procédures d'établissement des faits. Pour davantage de détails concernant les normes du monitoring relatives aux enquêtes d'établissement des faits, on pourra consulter utilement les références proposées par la bibliographie du présent manuel.