MATIÈRES
A. Introduction
B. Les Éléments de Base du Processus de Médiation
1. Les HRO pourront se trouver amenés à résoudre des conflits surgissant dans la communauté où ils seront en poste. Les situations constitutives de violations des droits de l'homme pourront comporter des éléments de négociation entre le HRO et les autorités, ou de médiation entre les autorités et la victime ou sa famille. Il est bien évident que toute recherche de solutions à ce type de conflit à travers la médiation ou la négociation conduites par le HRO passe par les normes internationales relatives aux droits de l'homme. Le HRO pourra avoir recours à d'autres techniques décrites dans ce manuel pour entamer des discussions avec les autorités à quelque niveau que ce soit. En fait, on pourrait même avancer que la mission de droits de l'homme tout entière joue un rôle de médiation dans les problèmes de droits de l'homme du pays.
2. Mais d'autres conflits n'entreront sans doute pas dans le cadre du mandat, comme dans le cas d'un conflit de droits de pâture surgissant entre deux bergers. Pourtant même des conflits de cette nature comporteront parfois des aspects sur lesquels devra se porter l'attention de certaines missions : ainsi, ces deux bergers pourront appartenir à des groupes ethniques différents, et leur désaccord particulier provenir de clivages communautaires plus larges; ou encore, leur conflit risque d'acquérir le statut de cause célèbre, voire de déclencher un conflit ethnique violent.
3. Même s'il a été demandé à un HRO d'intervenir dans un conflit déterminé, et que la question entre ou non dans le mandat de la mission, le fonctionnaire sera le plus souvent bien avisé d'inciter les parties à a voir recours aux institutions existantes ou aux procédures traditionnelles pour résoudre le problème, plutôt que de prendre un rôle actif dans le processus. Toutes les sociétés prévoient des modalités de résolution des conflits. Or il est peu probable que le HRO dispose d'une connaissance suffisante de la société en question pour parvenir à un résultat meilleur et plus acceptable que les procédés traditionnels de résolution des conflits. De plus, et en tout état de cause, le HRO s'efforcera de favoriser le fonctionnement des procédures existantes, et s'abstiendra de soutenir qu'il conviendrait de passer outre à ces procédures.
4. Néanmoins, dans certains contextes, le HRO pourra se voir demander de jouer un rôle de médiation et de conciliation, notamment lorsque les procédures traditionnelles, par exemple au sein de groupes ethniques, ne sauraient fonctionner. Les HRO pourront avoir à connaître de conflits entre différentes communautés, dans lesquels le gouvernement n'est pas en mesure d'intervenir, ou n'est pas crédible aux yeux de l'un des camps, ou des deux. Dans ce type de contexte, les HRO joueront un certain rôle de médiation et de conciliation.
B. LES ÉLÉMENTS DE BASE DU PROCESSUS DE MÉDIATION
5. Cette section présente quelques questions absolument essentielles que le HRO devra avoir à l'esprit en envisageant ou en entreprenant une médiation ou une conciliation.
6. Le conflit (ou le problème) entre-t-il dans le mandat de la mission de terrain ?
7. Existe-t-il un mécanisme gouvernemental, non-gouvernemental, traditionnel ou autre susceptible de résoudre ce conflit ? Le bureau local de droits de l'homme pourra établir des listes de référence et autres procédures de tri des conflits, selon qu'ils seront (1) hors du mandat, (2) mieux traités par d'autres procédures, ou (3) les deux.
8. Si la question tombe dans le mandat et qu'il n'existe pas de mécanisme adéquat pour le traiter, le HRO peut-il prendre des mesures pour favoriser le développement ou la remise en cours de procédures sociétales ou gouvernementales de résolution des conflits ? Par exemple, si la capacité d'une institution gouvernementale particulière à traiter du problème est mise en doute, le HRO peut-il redonner une crédibilité à cette institution en proposant d'observer les débats ou en apportant tout autre soutien ?
9. S'il n'existe aucun moyen de déférer le problème ou d'inciter d'autres institutions à le résoudre, le HRO doit considérer avec soin s'il ou elle dispose des informations nécessaires pour le régler. Pourquoi le conflit s'est-il produit ? (et alors il faudra peut-être fouiller bien au-dessous des apparences). Quels sont les intérêts respectifs des parties ? Quel est le type de démarche de résolution des conflits qui serait le plus normal et le plus acceptable pour les parties ? Comment pourrait-on aider les parties à régler le conflit par elles-mêmes ?
10. Le HRO dispose-t-il de la capacité et du temps pour s'engager dans toute forme de médiation ou de conciliation ? De telles procédures sont exigeantes en termes de temps et de compétences. Le médiateur aura à établir relation et confiance avec les parties. Dans la plupart des conflits, ce sont les parties elles-mêmes qui trouvent la solution à leur différend : le médiateur se contente de faciliter ce processus, qui est en général très long.
11. Le HRO sera en mesure de comprendre et de parler la langue locale suffisamment bien pour construire des relations de confiance entre les parties à un conflit. Il est ainsi particulièrement problématique de se fier à l'interprétation : s'il est en tout état de cause souvent difficile de trouver un interprète en mesure de traiter convenablement un entretien, les exigences envers lui seront encore beaucoup plus dures dans le processus de médiation. Ce n'est que si l'interprète est tenu en haute estime par toutes les parties que l'on pourra envisager une médiation en traduction. On ne saurait trop insister sur l'importance de l'intégrité chez les traducteurs et traductrices. Dans le climat tendu et polarisé du conflit, toute partialité, toute imprécision de la part de l'interprète seront aisément attribuées au HRO. Celui-ci aura donc à vérifier la façon dont l'interprète est perçu(e) par les différents camps.
12. Si le HRO décide, après avoir dûment consulté sa hiérarchie, de poursuivre dans la médiation, diverses questions de méthodes se poseront encore. Ainsi, dans son approche de la médiation, le HRO se trouvera fréquemment confronté au soupçon; tout au moins, il se verra demander pourquoi lui-même ou la mission souhaite intervenir comme médiateur. Si le médiateur proposé fait partie d'une mission de droits de l'homme, les parties risquent de présumer que les raisons en tiennent à la politique de la mission, ou à celle de l'ONU en général. Si ces mêmes parties considèrent les Nations Unies et la mission comme impartiales, il n'y a là aucun problème; mais si elles estiment réellement que l'ONU applique un programme favorisant l'un ou l'autre camp, le HRO-médiateur sera immédiatement perçu comme manipulateur. Face à de tels soupçons, toute mission de droits de l'homme devra conserver le sens des conséquences plus larges de ses activités, et de la manière dont elles seront perçues. Mais la mission ne peut renoncer à ses travaux en matière de droits de l'homme pour se trouver en position de médiateur acceptable; et en tout état de cause, elle doit toujours rechercher la plus parfaite impartialité dans ses entreprises concernant les droits de l'homme. Dès le départ, le HRO devra régler clairement cette question : "En quoi moi-même ou le bureau sommes-nous intéressés à agir en médiateurs dans ce conflit ?" Et dans la façon dont il ou elle se présentera en médiateur, ce sera toujours en insistant sur le fait que tout au long du processus, le pouvoir de décision demeure aux mains des parties. Le HRO n'est en rien un arbitre.
13. Ces soupçons initiaux écartés, le HRO pourra tenter une approche étroitement inspirée des processus de résolution des conflits couramment employés dans la société. Peut-être la communauté n'aura-t-elle connu que des procédures traditionnelles destinées à résoudre les conflits internes, et non ceux avec d'autres. Néanmoins, il pourra exister des traits communs dans les procédures de chacune des communautés, à partir desquels le médiateur trouvera peut-être des modalités mutuellement acceptables. Mais parfois le fonctionnement des institutions existantes (ou leur absence de fonctionnement aux yeux de certains) constituera lui-même une partie du problème. Le HRO devra alors peut-être s'enquérir de la manière dont les parties et autres considèrent les différentes institutions et procédures disponibles. Ses observations et conseils concernant les procédures des institutions en question lui éviteront de se compromettre. Le HRO pourra jouer un rôle utile pour inciter les parties à imaginer un processus visant à la résolution du conflit.
14. En l'absence de telles procédures traditionnelles ou mutuellement acceptables, le médiateur souhaitera sans doute entendre chaque partie séparément. Cette possibilité de s'exprimer sur ses positions exerce en général sur les parties un effet thérapeutique, et elle fournira au médiateur une vision plus juste des enjeux. Tout au long de ce processus, ce dernier devra à la fois se tenir à l'écoute et s'abstenir de toute prise de parti dans le conflit.
15. Si les parties sont disposées à se rencontrer, le médiateur pourra débuter sur un premier entretien concernant l'approche à adopter pour la suite du dialogue au fond, plutôt que d'aborder aussitôt les questions substantielles. Il ou elle se présentera, décrira son rôle, et évoquera la nécessité d'un travail en commun de tous les participants pour résoudre le problème. Le médiateur parviendra peut-être également à faire reconnaître sa position consistant non pas à décider, mais à aider les parties à faire usage de leurs compétences et de leurs informations pour ce travail en commun. Le médiateur pourra ménager d'autres rencontres avec chaque partie afin de recueillir sous le sceau de la confidence ses vues respectives, de mieux comprendre les problèmes en jeu, de découvrir comment les parties pourraient éventuellement travailler ensemble, et d'inciter chacune d'entre elles à se construire une image positive de l'autre camp. En fin de course, le médiateur sera peut-être en mesure de conclure que les parties seront parvenues à identifier certains éléments du conflit susceptibles de servir de base à l'établissement d'une confiance mutuelle. Elles seront ainsi prêtes à traiter de la substance du conflit, et capables de travailler ensemble à sa résolution. Le médiateur pourra alors réunir l'ensemble des parties, afin de réaffirmer les accords initialement élaborés lors des entretiens séparés, et les en remercier. Il ou elle pourra également faire état d'autres domaines dans lesquels les parties pourraient se trouver des objectifs communs, et donc envisager la solution d'autres problèmes, contribuant de la sorte à renforcer les relations entre les parties.
16. Certains médiateurs ont jugé utile d'organiser une réunion commune, invitant des participants concernés dans les divers groupes intéressés à échanger leurs vues et à parler des efforts nécessaires pour vivre ensemble. Les rencontres de cette nature sont parfois utiles et parfois contre-productives, en fonction des tentatives de résolution du conflit effectuées au cours des discussions individuelles précédentes. D'autres médiateurs préfèrent organiser des réunions entre les seuls représentants des diverses parties, ou des groupes limités, par exemple quelques personnes de chaque camp. Dans ces cas, le médiateur préférera sans doute discuter avec chaque partie des modalités de la rencontre conjointe, avant qu'elle soit convoquée. Le médiateur travaillera auprès des parties pour obtenir leur accord quant à la manière de conduire la rencontre, son ordre du jour, décider si des minutes seront établies ou publiées, de la durée de la séance, etc. Le médiateur devra prévoir comment gérer les désaccords et les paroles ou actes d'agression survenant au cours de la réunion. On cherchera à établir un climat ouvert à la discussion, où seront mis en évidence les intérêts communs des participants. On pourra ainsi prendre soin de la disposition des sièges : par exemple, le cercle évite d'accentuer la bipolarité entre groupes. En principe de telles réunions ne seront organisées qu'à la demande de la communauté. Le médiateur poursuivra ses bons offices dans ces réunions, mais fera en sorte que ses responsabilités se réduisent, afin que les structures locales se rétablissent dans leur fonction de règlement des problèmes de la communauté. Éventuellement, dans cet esprit, le médiateur pourra passer du rôle de modérateur à celui de simple observateur (1).
17. Si les parties ne sont pas en mesure de se rencontrer, le médiateur devra sans doute s'engager dans un processus de navette diplomatique à la base, parlant tour à tour avec chaque partie, expliquant son propre rôle, et tentant de repérer les divers aspects du problème sur lesquels pourra intervenir un accord, total ou partiel, ou bien où subsistera le désaccord. Même si l'issue finale du processus n'en sera sans doute que peu affectée, certains médiateurs estiment qu'il convient de commencer par s'entretenir avec le camp le moins puissant, pour bien montrer que les parties sont traitées avec impartialité (2). À chaque camp, le médiateur décrira son propre rôle, non pas de décideur mais de modérateur, les parties conservant tout pouvoir de décision.
18. S'il existe des sujets d'accord entre les parties, ou sur lesquels on pourra les aider à se trouver des intérêts communs, le médiateur pourra proposer d'en reconnaître l'existence comme premier pas vers l'établissement d'une confiance mutuelle. Celle-ci contribuera à la résolution des conflits plus délicats opposant les parties. Le médiateur de talent découvrira peut-être certaines approches du problème, dans lesquelles chaque partie sera gagnante et permettant d'éviter de nouveaux conflits. Un exemple : si les deux parties ont des prétentions opposées sur l'eau d'une rivière, peut-être le médiateur pourra-t-il proposer de créer un projet commun de renforcement du débit, ou de creusement d'un puits, afin d'améliorer l'approvisionnement en eau de tous.
19. On peut aussi commencer à bâtir cette confiance grâce à des entretiens avec des personnes membres des différents groupes, mais non nécessairement reconnues comme leaders. Le médiateur pourra tenter d'identifier des individus disposés au moins à prendre un certain risque en vue de la conciliation, ou simplement pour parler avec l'autre camp. Mais il est alors souvent fort difficile de choisir les "représentants" appropriés : le HRO devra avoir une connaissance complète du statut de ces personnes, et être assuré(e) de sa crédibilité au sein du groupe élargi. On pourra éventuellement repérer certaines personnes au cours d'un processus de consultation relativement étendu, puis les mentionner auprès des décideurs concernés. De tels entretiens peuvent permettre de cerner les problèmes, et peut-être certains des moyens pour les résoudre. Le médiateur peut enfin proposer des projets directement liés au conflit, mais dont le succès permettrait d'accroître la confiance entre les parties.
20. Le médiateur peut également tenter de demander à l'une des parties de préciser quelques-unes des concessions mineures attendues de la partie adverse, d'indiquer comment ces éventuelles concessions devraient être communiquées, et de dire quelles autres concessions mineures sont possibles en échange. Quel sera le meilleur moyen d'acheminer ces messages en évitant dans la mesure du possible tout malentendu ? Après avoir tenu la même discussion avec chaque camp, le médiateur pourra proposer un échange de ces concessions, lui-même agissant en tant que dépositaire de celles-ci jusqu'à ce qu'elles puissent être échangées formellement (3).
21. Une autre approche encore consiste pour le médiateur à proposer que l'une des parties commence à jeter les bases d'une confiance mutuelle en prenant une mesure unilatérale de nature à réduire la tension et à inviter la partie adverse à faire de même. Le médiateur pourra alors s'adresser en ce sens à l'autre partie, et le cycle institué permettra de réduire l'intensité du conflit. Si ce deuxième camp refuse d'adopter une semblable mesure de conciliation, le premier pourra prendre encore une nouvelle décision unilatérale, et inviter l'autre partie à faire de même. Si le camp opposé prend des mesures de représailles, la première partie pourra réagir en proportion, mais peut-être en sorte que les effets en soient moins graves, et que l'effort initial de détente ne soit pas entièrement annulé. La première partie acceptera peut-être alors de recommencer à faire un pas unilatéralement, réduisant les tensions et invitant l'autre partie à la suivre (4). Cependant, en adoptant cette approche, le HRO sera conscient que dans certaines situations, une désescalade égale produira des effets inégaux. On saura par exemple que si dans tel camp le moral est au plus bas, ou si dans tel autre on pense détenir un avantage durement acquis mais fragile, toute action apparemment égale en faveur d'une ouverture ou d'une trêve favorisera de fait l'un des camps.
22. Concernant les sujets qui persistent à diviser les parties, le médiateur pourra chercher à définir dans quelle mesure chaque partie est réellement attachée à chaque aspect du problème. Il peut ainsi se faire que telle partie se préoccupe avant tout des questions 1, 4 et 6, alors que l'autre se souciera plutôt des points 2, 3 et 5. Le médiateur pourra alors éventuellement proposer que chaque partie trouve satisfaction sur ceux des sujets qui lui importent le plus. Si certains de ces sujets sont d'importance équivalente, peut-être le médiateur parviendra-t-il à découvrir une manière de donner à tous une satisfaction partielle, ou bien à faire procéder à des échanges permettant à chaque camp d'obtenir satisfaction dans des domaines délimités. Il est souvent très difficile et très long de parvenir à des solutions résolvant les doléances de toutes les parties.
23. Les conflits proviennent souvent de la manière dont chaque camp perçoit l'autre, ou bien des moyens très différents qu'emploient les individus pour résoudre leurs problèmes. Le médiateur pourra donc tenter d'obtenir que chaque camp se décrive lui-même, puis décrive l'autre. Il leur demandera de dire quels sont les aspects positifs, et négatifs, de chacun. Le médiateur pourra alors concentrer ses efforts sur la compréhension mutuelle des différences, en insistant sur les éléments reconnus comme positifs de part et d'autre. Comprendre de part et d'autre les différences de mentalités peut contribuer à réduire les différends de fond. Certaines personnes sont ainsi très fortement axées sur les résultats. D'autres, en revanche, ont besoin d'établir une relation avant de commencer à envisager un résultat. Si le camp intéressé au résultat est capable de comprendre la démarche de l'autre camp, peut-être pourra-t-il commencer par établir une relation avec ce dernier, avant de rechercher un résultat quelconque.
24. Dans son approche vis-à-vis des conflits, le HRO aura toujours à l'esprit à la fois le mandat de la mission et les normes sous-jacentes en matière de droits de l'homme. La solution apportée au conflit sera conforme au droit international des droits de l'homme, résoudra les doléances des parties, et améliorera la capacité des parties à traiter de futurs conflits de même nature sans l'assistance directe de la mission de terrain.
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1. Voir Sonja Valtasaari, Community facilitation Meetings (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Mission en Bosnie-Herzégovine, 1996).
2. Dudley Weeks, Conflict Resolution Workshop Packet 17 (1996).
3. Friedrich Glasl, Conflict Resolution 59 (1996); Friedrich Glasl, Konfliktmanagement (1994).