MANUEL DE FORMATION SUR LA SURVEILLANCE DES DROITS HUMAINS

CHAPITRE VII: SE PROCURER L'INFORMATION


MATIERES

A. L'Acquisition du Renseignement

B. Créer des Contacts et Marquer sa Présence dans la Communauté

C. Réunir des Témoignages

D. Recevoir des Plaintes

E. Vérifier ses Informations

F. Analyser ses Informations

G. Evaluer les Témoignanges Directs

H. Autres Formes d'Information

I. Les Eléments de Preuve dans la Poursuite Pénales

 

A. L'ACQUISITION DU RENSEIGNEMENT

 

1. L'objectif principal du monitoring est de renforcer la responsabilit� de l'�tat dans la protection des droits de l'homme. Celles et ceux qui ont cette t�che r�unissent des informations de premi�re main sur les probl�mes de droits de l'homme, et sur les sch�mas typiques de leur violation. Rassembler de pareilles informations exige un engagement consid�rable. Le mot de "monitoring" peut d�noter superficiellement un processus passif d'observation et de rapports : mais le HRO devra adopter une d�marche de renseignement plus active. Les HRO ne sont que rarement t�moins directs de violations graves, dont ils pourraient faire �tat de fa�on circonstanci�e. Les HRO ont plut�t connaissance de tels actes par des victimes ou des t�moins. Il en d�coule que le renseignement implique des techniques pointues pour collecter des informations exactes et pr�cises. Le renseignement demande de proc�der de fa�on approfondie � des enqu�tes, suivis et analyses; une information solide est essentielle � la r�daction de rapports bien �tay�s, que l'on peut alors utiliser pour encourager l'action des autorit�s.

 

2. En effet, les HRO ne se limitent pas � observer et � raconter, puisque l'objectif d'une mission sur les droits de l'homme est g�n�ralement d'aider � corriger des probl�mes de droits de l'homme et � en �viter des violations futures. La mission sera donc pr�sente � tous les niveaux de la soci�t�. Les autorit�s locales doivent savoir que la mission ne se contente pas de faire rapport sur les violations des droits de l'homme constat�es, mais d�crit �galement les suites donn�es par ces autorit�s locales elles-m�mes � ces abus. On voit donc que le monitoring et les rapports des HRO peuvent contribuer � faire pression sur les autorit�s locales, afin qu'elles s'int�ressent aux probl�mes de droits de l'homme intervenant sur leur territoire et en assurent le suivi. Bien souvent, cette action de suivi ne servira pas qu'� compenser les violations des droits de l'homme, mais aussi � les pr�venir dans le futur.

 

3. Apr�s que les probl�mes de droits de l'homme relevant du mandat ont �t� d�termin�s, le monitoring des droits de l'homme consiste principalement � mener des enqu�tes visant � accumuler des �l�ments d'information, qui permettent de dire, � premi�re vue, si des violations ont �t� commises ou non. Ces enqu�tes comportent diverses phases et dimensions :

 

(a) identifier les probl�mes � encadrer aux termes du mandat;

 

(b) se cr�er des contacts et faire sa place au sein de la communaut�;

 

(c) r�unir des t�moignages et des plaintes;

 

(d) poursuivre l'enqu�te de mani�re � v�rifier l'information concernant toute violation, en prenant de m�me en compte la r�action des autorit�s, y compris l'arm�e, la police et les autorit�s judiciaires;

 

(e) si � ce stade il est �tabli qu'aucune violation des droits de l'homme n'a eu lieu, l'affaire est class�e.

 

(f) si l'enqu�te a �tabli l'existence d'une violation, alors le HRO fera ses recommandations et entreprendra les d�marches pr�vues par son mandat (on notera que des niveaux d'information diff�rents peuvent �tre requis pour agir selon les exigences - voir le Chapitre 19 "Suivi et action corrective".

 

(g) tout du long, le HRO tentera de faire en sorte que les autorit�s responsables agissent avec diligence et efficacit�. Il s'int�ressera en particulier au comportement de la police et/ou de l'arm�e vis-�-vis des droits de l'homme, ainsi qu'au respect de la proc�dure judiciaire en cas d'arrestation, d'emprisonnement ou de proc�s, tout comme � la garantie de s�curit� assur�e aux t�moins - voir le Chapitre 13 "Observation des proc�s et monitoring de l'administration de la justice").

 

(h) En g�n�ral, les HRO ne tentent pas de rassembler des preuves p�nales. Lorsque des preuves de cette nature leur sont apport�es, ils les soumettent normalement aux autorit�s comp�tentes pour poursuivre l'enqu�te et pr�senter l'affaire en justice (voir dans ce chapitre la Section I : "Les preuves dans les poursuites p�nales").

 

B. CR�ER DES CONTACTS ET MARQUER SA PR�SENCE DANS LA COMMUNAUT�

 

4. Si les HRO veulent trouver des informations et comprendre la situation ambiante, ils doivent se m�nager des contacts avec les notables, avec les organisations ayant en charge les droits de l'homme, avec les organisations non-gouvernementales, avec les fonctionnaires locaux du gouvernement, et avec tous les acteurs locaux du territoire qui leur est assign�. Souvent, les avocats et les journalistes sont de fort bonnes sources, puisque g�n�ralement au courant des �v�nements en cours. Mais le HRO doit savoir aussi que les violations commises envers certains groupes vuln�rables, comme les femmes, risquent d'�tre plus difficiles � localiser gr�ce aux canaux d'information habituels. Il devra donc parfois �largir ses recherches, de fa�on � s'assurer que certains groupes ou cat�gories de personnes re�oivent les soins dont elles ont besoin, et que toute information pertinente soit recueillie quant � d'�ventuelles violations � leur encontre. Cr�er des contacts suppose de s'impliquer activement pour faire connaissance avec des personnes et des organisations, pour d�cider de rencontres p�riodiques, etc. Les HRO doivent de plus faire usage des sources qu'ils cultivent. Et ils doivent enfin retourner � leurs sources, � intervalles r�guliers, pour en obtenir de nouvelles informations.

 

5. C'est dans ce contexte que les HRO ont � �tablir des relations avec le gouvernement local et ses fonctionnaires, y compris les policiers, militaires, magistrats, et autres personnes impliqu�es dans l'administration de la justice. Ces contacts, tout comme une pr�sence visible, contribueront � freiner les violations. Les contacts �tablis aupr�s du gouvernement permettront en outre de se faire assister pour toutes sortes de probl�mes. Enfin, les HRO doivent visiter r�guli�rement les prisons, les h�pitaux, les morgues, et les zones dont les populations courent les risques les plus aigus - bidonvilles, cit�s ouvri�res ou communaut�s rurales.

 

6. On l'a mentionn�, les organisations non-gouvernementales (ONG) sont souvent en mesure de fournir des informations pr�cieuses, et de faciliter la mission sur les droits de l'homme de bien des mani�res. Certaines ONG humanitaires se consacrent, sans exclusive, � sensibiliser les populations aux droits de l'homme, � dispenser un enseignement � ce sujet, � faire pression pour am�liorer la mani�re dont ils sont respect�s, � travailler en faveur des minorit�s, des droits des femmes ou de ceux des enfants, ou encore � veiller aux violations de certains droits pr�cis (disparitions, tortures, etc.) D'autres ONG �uvrent dans des domaines ne relevant pas directement des droits de l'homme, mais qui ont beaucoup en commun : protection de l'environnement, droits du consommateur, enl�vement de remblais... Certaines de ces ONG sont enti�rement constitu�es de membres locaux ou nationaux; alors que d'autres fonctionnent au niveau r�gional ou international.

 

7. La mission �tablira donc une relation de coop�ration avec les ONG qui conduisent des activit�s parall�les, de nature � renforcer et � aider cette m�me op�ration de l'ONU. Il s'agit l� d'un sujet particuli�rement important, eu �gard aux ressources humaines et financi�re habituellement limit�es accord�es aux missions de terrain. Dans ces cas, il est essentiel que la mission �tablisse des liens avec toutes les organisations pr�sentes sur le terrain, qui seront en mesure de lui fournir leurs informations, de mani�re � remplir au mieux sa fonction de monitoring. Et tout en traitant avec les organisations non-gouvernementales, la mission prendra grand soin que son travail renforce la capacit� des ONG vis-�-vis du gouvernement national, et qu'il �vite de doublonner leurs fonctions, de remplacer ses activit�s, ou d'usurper leur r�le l�gitime au sein des soci�t�s du pays.

 

8. Les missions de droits de l'homme doivent identifier rapidement les ONG actives dans le pays, afin de d�terminer lesquelles peuvent �tre sources d'informations, lesquelles peuvent apporter une assistance dans des domaines hors du mandat (par exemple les abus commis sur les enfants ou l'aide alimentaire), lesquelles peuvent aider en mati�re d'�ducation ou de promotion des droits de l'homme, etc.

 

9. Il importe d'�tablir des contacts avant que ne survienne une situation de crise, car d�s que surgit le probl�me il sera plus difficile de d�velopper les relations n�cessaires pour que les contacts soient utiles.

 

10. En �tablissant et en utilisant leurs contacts, les HRO prendront soin d'�valuer les perspectives de ces derniers. Dans l'id�al, le fonctionnaire nouera au moins quelques contacts avec des personnes ayant le moins de pr�jug�s possibles quant aux questions de droits de l'homme susceptibles de se poser. Dans tous les cas, le HRO saura comprendre et compenser les pr�jug�s des personnes en mesure de lui fournir des informations.

 

C. R�UNIR DES T�MOIGNAGES

 

11. Recueillir de l'information implique de suivre toutes les pistes cr�dibles concernant des abus de droits de l'homme. Les HRO seront donc disponibles en permanence et pr�ts � aller recueillir des renseignements de toute personne se pr�sentant comme victime d'une telle violation. D�s que le HRO a connaissance d'un fait (par exemple manifestation, disparition forc�e av�r�e, expulsion forc�e ou arrestations de masse), il doit s'employer � r�unir toutes informations possibles de sources indirectes, puis � trouver des t�moins et � recueillir leurs propos. La prudence est de rigueur pour les HRO : faut-il se rendre sur les lieux d'un �v�nement afin d'aider � l'enqu�te ? ou bien cela pourrait-il mettre des sources d'informations en danger ? Ne vaut-il pas mieux en parler avec d'autres personnes impliqu�es dans la mission ? En g�n�ral, il est pr�f�rable de se montrer relativement circonspect avant de visiter le site d'un incident, jusqu'� ce que le HRO en sache suffisamment pour d�terminer si le b�n�fice qui va en r�sulter est largement sup�rieur aux risques encourus par lui-m�me ou ses sources d'informations.

 

12. On trouvera un traitement plus d�taill� concernant l'identification et l'interrogatoire des t�moins au Chapitre 8 "L'entretien".

 

D. RECEVOIR DES PLAINTES

 

13. Bien souvent, des personnes vont se pr�senter comme recherchant une protection ou la r�paration de torts pass�s envers leurs droits humains. Le nombre des communications individuelles qui atteignent le HRO d�pend de sa cr�dibilit� aupr�s de la population locale, des ONG, des cultes, et d'autres organisations. Ce besoin � la fois de cr�dibilit� et de renseignements fournit une nouvelle raison pour que le fonctionnaire �tablisse de bonnes relations avec les organisations travaillant dans leur zone, qu'elles s'occupent de droits de l'homme ou non.

 

14. L'objectif de toute enqu�te consiste � �tablir de fa�on certaine les circonstances et les actes ayant conduit � une violation all�gu�e, comme une mort suspecte, une d�tention ill�gale, une d�portation int�rieure, une expulsion discriminatoire, ou autre violation des droits de l'homme. Mener ce type d'enqu�te est imp�ratif, et ce quel que soit le genre de violation port�e � la connaissance du HRO. La r�ponse, en revanche, sera variable selon ce type de violation qui est � �tablir : d�c�s d'une victime; disparition; tortures; traitements, cruels, inhumains ou d�gradants; menaces graves et r�p�t�es envers la libert� et la s�curit� de la personne; licenciement discriminatoire; violences � l'�gard des femmes; ou exercice du droit d'expression et d'association. La nature de la r�action d�pendra aussi du degr� de fiabilit� de l'information disponible. Ainsi, une information modeste par sa quantit� pourra �tre obtenue simplement par des contacts discrets et r�guliers; le renseignement de plus grande ampleur pourra exiger des entretiens plus directs avec d'autres t�moins. � un stade ult�rieur, il conviendra peut-�tre de pr�parer, voire au bout du compte d'entreprendre, une visite sur le site. Si le HRO rencontre une situation urgente et grave, par n�cessit� sa r�action pourra �tre plus rapide et moins circonspecte.

 

15. Apr�s avoir r�uni des informations en quantit� suffisante, les HRO pourront souhaiter recueillir les r�actions des autorit�s. En fonction des r�ponses des autorit�s � ces questions, et de la situation pr�valente, il conviendra peut-�tre d'envisager de trouver de nouvelles informations ou d'entreprendre d'autres d�marches, par exemple en en appelant � de hauts fonctionnaires du gouvernement local, en invoquant l'aide de fonctionnaires de rang sup�rieur appartenant � cette mission sur les droits de l'homme, ou en ayant recours � de multiples formes de communication publique, etc. Un certain nombre de ces mesures de suivi devront �tre d�termin�es par la direction de la mission.

 

16. En fonction des divers aspects de leur mandat , pourront avoir recours � des formulaires sp�ciaux pour leurs enqu�tes concernant des plaintes individuelles. Dans certaines situations, des formulaires de plaintes pourront ainsi servir � d�cider de l'admissibilit� de l'affaire, sur la base du s�rieux du cas et de la pr�cision de l'enqu�te. Il est donc habituellement important de compl�ter ces formulaires avec soin. Un exemple en est fourni en annexe 1 au Chapitre 20. On le modifiera selon les caract�ristiques du mandat de la mission.

 

17. En interrogeant des victimes ou des t�moins, le HRO n'a pas � poser ses questions dans l'ordre du formulaire. Il est cependant essentiel d'en avoir le contenu � l'esprit, de mani�re � ne laisser aucun point de c�t� au cours de l'entretien, quitte � ce que certains demeurent sans r�ponse.

 

18. Apr�s l'entretien, le HRO pourra compl�ter les formulaires � l'aide de ses notes d'entretien. Il est d'importance particuli�re de remettre les �v�nements par ordre chronologique, quel que soit celui dans lequel la victime ou le t�moin les aura rapport�s (voir Chapitre 20 "Rapports sur les droits de l'homme").

 

19. Les informations demand�es dans le formulaire sont les plus importantes, mais elles ne sont pas exhaustives. D'autres pourront leur �tre ajout�es sur papier libre, ou pourront �tre annex�es au formulaire, du moment que les pages additionnelles sont identifi�es par leur num�ro de dossier et non par le nom de la victime.

 

E. V�RIFIER SES INFORMATIONS

 

20. Apr�s avoir re�u une communication, les HRO devront v�rifier les informations re�ues. Il est essentiel de v�rifier l'exactitude des violations rapport�es de droits de l'homme avant d'entreprendre quelque d�marche que ce soit. Ces fonctionnaires v�rifient donc la mat�rialit� des faits aupr�s de toute organisation ou association de droits de l'homme en ayant connaissance; ils peuvent en outre solliciter l'aide de toute organisation ou entit� connaissant l'affaire envisag�e.

 

21. En outre, les HRO auront � d�terminer si la famille, les amis et les voisins de la victime pr�sum�e, aussi bien que d'autres t�moins, sont en mesure de corroborer les dires du plaignant. Les t�moins seront interrog�s individuellement et aussi rapidement que possible, tout en �tant assur�s que les HRO se tiendront en contact fr�quent avec eux. Ils seront inform�s que les HRO feront ce qui est en leur pouvoir pour les prot�ger pendant et apr�s l'enqu�te, mais que leur s�curit� ne peut �tre garantie. De plus, on demandera aux t�moins s'ils souhaitent demeurer anonymes. On trouvera davantage de d�tails sur les interrogatoires de victimes et de t�moins au Chapitre 8 "L'entretien".

 

F. ANALYSER SES INFORMATIONS

 

22. Un des probl�mes r�currents dans l'�tablissement des faits concernant les abus des droits de l'homme est la difficult� qu'il y a � �valuer les informations recueillies au cours de visites sur site ou d'entretiens. Apr�s tout, le HRO n'ont pas la possibilit� de v�rifier chaque d�tail des renseignements qu'ils re�oivent. En fait, il est rare que le HRO puisse "aller au fond" d'une violation, comme ce serait le cas dans le syst�me de la justice p�nale. Cependant, en g�n�ral, le HRO tentera d'�tablir au moins une analyse � premi�re vue du degr� de pertinence, de v�racit�, de fiabilit� et de probit� de l'information ainsi recueillie.

 

23. La r�gle la plus commun�ment admise dans l'�tablissement des faits concernant les droits de l'homme est celle-ci : l'information doit �tre coh�rente avec les renseignements recueillis aupr�s de sources ind�pendantes. Cette id�e de coh�rence de l'information est apparent�e � celle voulant que la fiabilit� peut se jauger en fonction du degr� auquel un �l�ment probant particulier correspond au contexte des autres �l�ments accumul�s. Il suit que le HRO doit prendre en compte non pas seulement chaque information recueillie, mais aussi la mani�re dont chaque pi�ce du puzzle s'ajuste avec l'autre pour donner un tableau cr�dible.

 

24. Un autre aspect de la fiabilit� a trait au degr� de certitude requis. Le but attribu� � l'�tablissement des faits conditionne largement l'exhaustivit� que l'on attend des proc�dures mises en �uvre par les HRO � cette fin. Au lieu d'une "charge de la preuve" qui pourrait s'appliquer � une proc�dure judiciaire, on aura affaire � une progressivit� dans la certitude et la quantit� des informations li�es aux actions � entreprendre.

 

25. Par exemple, si le HRO cherche � rassembler des plaintes et autres renseignements pour informer de ces all�gations un fonctionnaire subalterne dans l'espoir que l'�tat entreprenne une enqu�te, cette proc�dure d'�tablissement des faits pourra se trouver r�duite en pr�cision et en exhaustivit�. Ce degr� inf�rieur de preuve ne demanderait que d'avoir � poursuivre l'enqu�te � divers niveaux de visibilit� pour parvenir � son terme. Mais il faut bien se souvenir que l'enqu�te elle-m�me comporte un certain niveau de critique et de visibilit�; la certitude la plus absolue serait requise pour les actions les plus coercitives et les plus visibles. Ainsi, pour conclure � un abus av�r� des droits de l'homme, on aura besoin des proc�dures les plus compl�tes et d'un plus haut degr� de certitude. Pour d�signer publiquement un auteur des actes en cause, la mission devra poss�der des informations tr�s solides, peut-�tre m�me suffisantes pour satisfaire � l'exigence du "doute raisonnable" pratiqu� par les cours d'assises, puisque cette d�nonciation publique peut avoir pour r�sultat des poursuites, voire des repr�sailles. En tout �tat de cause, une telle identification publique constitue une d�marche politique importante de la part de la mission et de sa direction, et sa d�cision n'est pas du ressort du HRO isol�.

 

G. �VALUER LES T�MOIGNAGES DIRECTS

 

26. Les HRO ont � leur disposition une large gamme de techniques pour corroborer les t�moignages directs des victimes et des t�moins oculaires. Pendant l'entretien lui-m�me, l'interviewer devra tenter de tester la coh�rence ou les contradictions internes du t�moignage. Le HRO peut ainsi rechercher les �ventuelles contradictions en revenant � diverses reprises sur le m�me sujet, mais en posant des questions diff�rentes. Mais il devra �tre �galement bien conscient que souvent, les difficult�s de communication sont elles-m�mes sources de contradictions. Il convient donc de toujours donner � la personne interrog�e la possibilit� de fournir des �claircissements quant � ses d�clarations (1).

 

27. En g�n�ral, le t�moignage oral s'�value sur la base du comportement et de la cr�dibilit� d'ensemble du t�moin. Pourtant, le HRO sera sensible au fait que les diff�rences culturelles et la nature du t�moignage peuvent �tre sources d'embarras et de difficult�s de communication. On verra de fa�on plus d�taill�e comment �valuer la cr�dibilit� d'un t�moignage au Chapitre 8 "L'entretien".

 

28.Les HRO auront soin d'inclure comme facteur d'analyse le point de vue ou les pr�jug�s du t�moin. Ainsi, une victime pourra exag�rer afin de justifier sa propre conduite et de se venger de la personne qui lui a port� pr�judice; les tendances politiques peuvent voiler ou refaire la v�rit�; des r�fugi�s pourront charger la description leurs souffrances pour acc�der au statut de r�fugi�, ou tout simplement pour expliquer leur d�cision de fuir. L'id�al voudrait que le HRO puisse obtenir des informations coh�rentes de la part de personnes ayant des profils politiques et des pass�s diff�rents. Dans un pareil contexte, son bon sens personnel sera particuli�rement pr�cieux au HRO, autant que de recourir � des contacts fiables et non impliqu�s.

 

H. AUTRES FORMES D'INFORMATIONS

 

29. Si le t�moignage direct des victimes et t�moins oculaires constitue la premi�re source d'information des HRO, ces fonctionnaires peuvent aussi utiliser des t�moignages indirects. Mais dans l'emploi qu'il fera de t�moignages indirects obtenus de t�moins �loign�s, le fonctionnaire de terrain saura que ce type de renseignement est plus douteux que le t�moignage direct. La rumeur ou l'information de seconde main se trouveront certes renforc�es, en valeur probante, par la multiplicit� de sources ind�pendantes entre elles. Il n'en demeure pas moins que ce type de renseignement doit �tre vu avec le plus grand soin avant d'�tre consid�r� comme factuel.

 

30. Il existe d'autres moyens d'information susceptibles de confirmer des abus des droits de l'homme. Les HRO peuvent consid�rer les sympt�mes physiques et psychologiques observ�s au cours de l'entretien et/ou de l'examen m�dical comme des indicateurs de fiabilit�. Si possible, les HRO se feront aider par les professions m�dicales pour �tablir les signes physiques et psychologiques que pr�sentent les victimes (voir au Chapitre 8 I : "Interroger des groupes sp�ciaux ou des individus pr�sentant des caract�res sp�cifiques"). Cependant, si aucun membre de ces professions n'est disponible sur le champ, observer et d�crire soigneusement ces signes pourra en aider un � peser l'information par la suite. Le HRO, en fonction des indications d'un membre d'une profession m�dicale, �valuera alors si les renseignements r�unis au cours de l'entretien sont ou non compatibles avec les all�gations de s�vices. Si la description des sympt�mes physiques pr�sent�s � la suite de tortures et toutes autres marques physiques, dont des cicatrices, port�es par la victimes, concordent avec le sch�ma connu des effets provoqu�s par le type de torture invoqu�, le HRO pourra consid�rer que l'�tablissement des faits est coh�rent avec les all�gations.

 

31. D'autres confirmations physiques d'all�gations peuvent se rencontrer au cours de visites sur site, qui donnent l'occasion de v�rifier les descriptions faites par les t�moins de b�timents, de salles, et peut-�tre d'en prendre des photographies, ce notamment lorsque le risque existe d'une modification des lieux avant l'arriv�e de professionnels de la justice p�nale.

 

32. Parmi les preuves mat�rielles peuvent figurer des v�tements, des effets personnels, des ongles, les raclures trouv�es sous les ongles, le sang, les cheveux de la victime. Les armes employ�es pour infliger les blessures et tous les corps �trangers (projectiles, fragments de projectiles, balles, couteaux et fibres) extraits du corps de la victime peuvent �galement servir de preuves. Autres preuves mat�rielles encore, les pr�l�vements chimiques, les empreintes digitales identifiant la personne responsable, les photographies ou films de l'incident et/ou de la sc�ne, et des photographies et/ou dessins de marques de tortures sur le corps de la victime.

 

33. En g�n�ral, les HRO devront laisser les lieux du crime intacts et ne pas tenter de se substituer aux autorit�s polici�res. Les HRO ne doivent pas rassembler ou manipuler le type de preuves mat�rielles qui pourraient �tre utilis�es dans une enqu�te p�nale, car ces fonctionnaires doivent chercher � �viter de d�r�gler le syst�me de justice p�nale. En revanche, si le HRO d�couvre de telles preuves, il doit en faire �tat aux autorit�s si elles sont susceptibles d'entreprendre une enqu�te judiciaire appropri�e. Et s'il n'a pas le choix et se trouve entrer en possession de preuves mat�rielles, il doit s'assurer qu'elles soient recueillies, manipul�es, emball�es, �tiquet�es et entrepos�es de mani�re � en �viter la contamination ou la perte. Chaque pi�ce � conviction doit comporter une d�claration s�par�e indiquant pr�cis�ment o� et quand elle a �t� d�couverte; cette d�claration pr�cisera qui a pris ou trouv� la pi�ce en question, et sera sign�e de cette personne. Suivre une telle proc�dure est n�cessaire pour maintenir la continuit� de la preuve (2). Normalement, ces manipulations requi�rent une formation professionnelle m�dico-l�gale.

 

34. En derni�re analyse, les HRO doivent se fier � leur bon sens pour �valuer la cr�dibilit� de toute information en fonction de sa coh�rence, de la fiabilit� des t�moignages, et de la sinc�rit� des autres �l�ments r�unis.

 

I. LES �L�MENTS DE PREUVE DANS LES POURSUITES P�NALES

 

35. Les HRO doivent �tre conscients des cadres dans lesquels les informations qu'ils d�couvrent pourront �ventuellement �tre utilis�s dans des poursuites p�nales, que ce soit devant des tribunaux internationaux pour des lieux comme l'ex-Yougoslavie, le Rwanda ou tout autre lieu o� la juridiction de la Cour p�nale internationale trouvera � s'exercer dans l'avenir, ou devant des tribunaux nationaux (3). . En r�gle g�n�rale, les magistrats et les enqu�teurs relevant de tels tribunaux pr�f�rent mener leurs propres recherches, et ont du mal � se fier � des renseignements recueillis par d'autres (4). Par cons�quent, s'il existe des personnes relevant d'un tribunal comp�tent, le HRO les informera rapidement des informations qui pourraient tomber dans leur mandat. La R�gle 70 du R�glement de proc�dure et de preuve des tribunaux internationaux sur l'ex-Yougoslavie et le Rwanda autorise le procureur � recevoir des informations confidentielles et lui interdit de r�v�ler l'identit� de l'informateur ou l'information elle-m�me sans avoir pr�alablement obtenu le consentement de l'informateur. S'il n'existe pas encore de R�glement de proc�dure et de preuve pour la Cour p�nale internationale, l'article 54 de son Statut autorise le procureur � "s'engager � ne divulguer � aucun stade de la proc�dure les documents ou renseignements qu'il a obtenus, sous la condition qu'ils demeurent confidentiels et ne servent qu'� obtenir de nouveaux �l�ments de preuve, � moins que celui qui a fourni l'information ne consente � leur divulgation", et � "prendre, ou demander que soient prises, des mesures n�cessaires pour assurer la confidentialit� des renseignements recueillis, la protection des personnes ou la pr�servation des �l�ments de preuve".

 

36. L'essentiel des �l�ments r�unis par les tribunaux proviennent de l'interrogatoire de t�moins, de d�placements sur les lieux, du rassemblement de preuves mat�rielles, et de recherches de documents. Les preuves requises dans des proc�dures p�nales doivent habituellement �tre trait�es dans des conditions plus d�licates que celles r�unies pour un rapport sur les droits de l'homme. Non seulement faut-il maintenir la continuit� de la preuve, mais l'encha�nement de sa transmission doit �tre soigneusement enregistr�, afin de pouvoir par la suite v�rifier cette preuve. On l'a dit, le HRO doit �viter de d�r�gler les enqu�tes judiciaires, et donc de rassembler des preuves mat�rielles. Ces questions rel�vent de d�cisions politiques qui ne peuvent �tre prises que par la direction de la mission, et non par le HRO. C'est � ce niveau que sera �tablie la n�cessit� (1) de porter l'affaire devant les instances p�nales nationales ou locales; (2) de faire rapport devant toute commission de justice et v�rit�; ou (3) d'enqu�ter pour le compte de tout tribunal p�nal international comp�tent (voir Chapitre 19-G "Suivi � plus long terme : les commissions de v�rit� et les tribunaux").

 

37. De fa�on analogue, la direction de la mission pourra d�cider que les HRO seront d'une prudence particuli�re en interrogeant les t�moins, lesquels pourraient �tre par la suite appel�s � t�moigner dans des proc�dures p�nales nationales et/ou internationales. Les enregistrements de ces t�moignages peuvent devoir �tre produits au proc�s, et ils doivent donc �tre pr�par�s avec le plus grand soin. Si un t�moin poss�de des preuves qui auront � �tre produites dans une proc�dure judiciaire, la mission sur les droits de l'homme pr�f�rera peut-�tre diff�rer l'interrogatoire du t�moin, de mani�re � �viter d'influencer ses d�clarations, et devra informer le parquet de l'existence de tels t�moins, ou peut-�tre travailler en �troite collaboration avec les fonctionnaires charg�s de l'enqu�te en mati�re p�nale.

 

38. Dans tous les cas, en vue de d�cider d'adopter une politique dans ce domaine, la direction de la mission devra se rapprocher des tribunaux comp�tents, et toute politique mise en �uvre devra �tre compatible avec les r�gles de proc�dure applicables

 

 

___________________

1. Diane Orentlicher, "Bearing Witness : The Art and Science of Human Rights Fact-Finding", 3, Harvard Human Rights Journal 83, 118-19 (1990).

2. Kathryn English et Adam Stapleton, The Human Rights Handbook : A Practical Guide to Monitoring Human Rights 158 (1995).

3. Le Conseil de sécurité de l'ONU a établi le Tribunal international dans le seul but de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie à partir de 1991, et le Tribunal international chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda. Résolutions 827 du 25 mai 1993 et 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité (voir Chapitre 19 - "Suivi et action corrective").

4. Graham T. Blewitt, The relationship between NGOs and the International Criminal Tribunals (1996).

 


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