Application du pacte International Relatif Aux Droits Economiques, Sociaux Et Culturels, Observation générale No 9, Application du Pacte au niveau national, 28/12/98. E/C.12/1998/24.


Observation g�n�rale No 9: Application du Pacte au niveau national *



A. Obligation de donner effet au Pacte dans l'ordre juridique interne

1. Dans son Observation g�n�rale No 3 (1990) sur la nature des obligations des �tats parties (art. 2, par. 1, du Pacte) (1), le Comit� a trait� de questions relatives � la nature et � la port�e des obligations des �tats parties. La pr�sente observation g�n�rale vise � pr�ciser certains �l�ments abord�s dans cette observation-l�. La principale obligation qui incombe aux �tats parties au regard du Pacte est de donner effet aux droits qui y sont reconnus. En exigeant des gouvernements qu'ils s'en acquittent "par tous les moyens appropri�s", le Pacte adopte une d�marche ouverte et souple qui permet de tenir compte des particularit�s des syst�mes juridiques et administratifs de chaque �tat, ainsi que d'autres consid�rations importantes.

2. Mais cette souplesse va de pair avec l'obligation qu'a chaque �tat partie d'employer tous les moyens dont il dispose pour donner effet aux droits consacr�s dans le Pacte. Dans cette optique, il faut tenir compte des r�gles fondamentales du droit international relatif aux droits de l'homme. En cons�quence, les normes du Pacte doivent �tre d�ment reconnues dans le cadre de l'ordre juridique national, toute personne ou groupe l�s� doit disposer de moyens de r�paration ou de recours appropri�s, et les moyens n�cessaires pour faire en sorte que les pouvoirs publics rendent compte de leurs actes doivent �tre mis en place.

3. Les questions relatives � l'application du Pacte au niveau national doivent �tre envisag�es � la lumi�re de deux principes du droit international. Selon le premier, tel qu'il est �nonc� � l'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des trait�s (2), "Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-ex�cution d'un trait�". En d'autres termes, les �tats doivent modifier, le cas �ch�ant, l'ordre juridique afin de donner effet � leurs obligations conventionnelles. Le second principe est �nonc� � l'article 8 de la D�claration universelle des droits de l'homme : "Toute personne a droit � un recours effectif devant les juridictions nationales comp�tentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi". Le Pacte international relatif aux droits �conomiques, sociaux et culturels ne contient aucune disposition correspondant directement l'alin�a b du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui oblige, notamment, les �tats parties � "d�velopper les possibilit�s de recours juridictionnel". N�anmoins, un �tat partie qui cherche � se justifier du fait qu'il n'offre aucun recours interne contre les violations des droits �conomiques, sociaux et culturels doit montrer soit que de tels recours ne constituent pas des "moyens appropri�s", au sens du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits �conomiques, sociaux et culturels, ou qu'ils sont, compte tenu des autres moyens utilis�s, superflus. Cela n'est pas facile � montrer, et le Comit� estime que, dans biens des cas, les autres moyens utilis�s risquent d'�tre inop�rants s'ils ne sont pas renforc�s ou compl�t�s par des recours juridictionnels.

B. Place du Pacte dans l'ordre juridique interne

4. D'une mani�re g�n�rale, les normes internationales contraignantes relatives aux droits de l'homme devraient s'appliquer directement et imm�diatement dans le cadre du syst�me juridique interne de chaque �tat partie, et permettre ainsi aux personnes de demander aux tribunaux nationaux d'assurer le respect de leurs droits. La r�gle relative � l'�puisement des recours internes renforce la primaut� des recours internes � cet �gard. L'existence de proc�dures internationales pour l'examen de plaintes individuelles et le d�veloppement de telles proc�dures sont certes importants, mais ces proc�dures ne viennent, en d�finitive, qu'en compl�ment de recours internes effectifs.

5. Le Pacte ne d�finit pas concr�tement les modalit�s de sa propre application dans l'ordre juridique national. De plus, il ne contient aucune disposition obligeant les �tats parties � l'incorporer int�gralement au droit national ou � lui accorder un statut particulier dans le cadre de ce droit. Bien que les modalit�s concr�tes pour donner effet, dans l'ordre juridique national, aux droits qui sont reconnus dans le Pacte soient laiss�es � la discr�tion de chaque �tat partie, les moyens utilis�s doivent �tre appropri�s, c'est-�-dire qu'ils doivent produire des r�sultats attestant que l'�tat partie s'est acquitt� int�gralement de ses obligations. Les moyens choisis sont en outre soumis � contr�le dans le cadre de l'examen, par le Comit�, de la mani�re dont l'�tat partie s'acquitte de ses obligations au titre du Pacte.

6. Une analyse de la pratique des �tats en ce qui concerne le Pacte montre qu'ils recourent � divers moyens. Certains n'ont pris aucune mesure particuli�re. Parmi ceux qui ont pris des mesures, certains ont fait des dispositions du Pacte des dispositions du droit national, en compl�tant ou en modifiant la l�gislation en vigueur, sans pour autant reprendre les termes m�mes du Pacte. D'autres l'ont adopt� ou incorpor� au droit national en gardant telles quelles ses dispositions, et en leur donnant officiellement effet dans l'ordre juridique national. Pour ce faire, ils ont g�n�ralement eu recours � des dispositions constitutionnelles accordant aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme la priorit� sur toute l�gislation nationale incompatible avec ces dispositions. La fa�on dont les �tats abordent le Pacte d�pend, dans une large mesure, de la mani�re dont les instruments internationaux en g�n�ral sont envisag�s dans l'ordre juridique interne.

7. Quelle que soit la d�marche choisie, plusieurs principes d�coulent de l'obligation de donner effet au Pacte et doivent, de ce fait, �tre respect�s. Premi�rement, l'�tat partie doit choisir le moyen d'application propre � lui permettre de s'acquitter de ses obligations en vertu du Pacte. La n�cessit� d'assurer l'invocabilit� des droits reconnus dans le Pacte (voir par. 10 ci-apr�s) doit �tre prise en consid�ration afin de d�terminer le meilleur moyen de donner effet � ces droits au niveau interne. Deuxi�mement, il faut tenir compte des moyens qui se sont av�r�s les plus efficaces pour la protection d'autres droits fondamentaux dans le pays concern�. Dans les pays o� les moyens employ�s pour donner effet au Pacte diff�rent consid�rablement de ceux servant � appliquer d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme, l'utilisation de tels moyens doit r�pondre � une n�cessit� imp�rieuse, compte tenu du fait que le libell� des dispositions du Pacte est, dans une large mesure, comparable � celui des dispositions des instruments relatifs aux droits civils et politiques.

8. Troisi�mement, m�me si le Pacte n'oblige pas formellement les �tats � incorporer ses dispositions dans la l�gislation interne, une telle d�marche est souhaitable. Une incorporation directe des dispositions du Pacte permet, en effet, d'�viter les probl�mes que peut poser la transformation des obligations conventionnelles en dispositions de droit interne, et donne la possibilit� aux personnes d'invoquer directement les droits reconnus dans le Pacte devant les tribunaux nationaux. Pour ces raisons, le Comit� encourage vivement l'adoption officielle ou l'incorporation du Pacte dans le droit national.

C. R�le des recours

Recours juridictionnels ou recours judiciaires ?

9. Le droit � un recours effectif ne doit pas �tre syst�matiquement interpr�t� comme un droit � un recours judiciaire. Les recours administratifs sont, dans bien des cas, suffisants, et les personnes qui rel�vent de la juridiction d'un �tat partie s'attendent l�gitimement � ce que toutes les autorit�s administratives tiennent compte des dispositions du Pacte dans leurs d�cisions, conform�ment au principe de bonne foi. Tout recours administratif doit �tre accessible, abordable, rapide et suivi d'effets. De m�me, il est souvent utile de pouvoir se pr�valoir d'un recours judiciaire de dernier ressort contre des proc�dures administratives de ce type. D'ailleurs, pour certaines obligations, telles que celles qui ont trait � la non-discrimination (3) (ainsi que bien d'autres), il est n�cessaire d'offrir un recours judiciaire, sous une forme ou une autre, si l'on veut s'acquitter des dispositions du Pacte. En d'autres termes, chaque fois qu'un droit �nonc� dans le Pacte ne peut �tre exerc� pleinement sans une intervention des autorit�s judiciaires, un recours judiciaire doit �tre assur�.

Invocabilit�

10. Dans le cas des droits civils et politiques, on tient g�n�ralement pour acquis qu'il est essentiel de pouvoir disposer de recours judiciaires contre d'�ventuelles violations. Malheureusement, le contraire est souvent affirm� en ce qui concerne les droits �conomiques, sociaux et culturels. Cette diff�rence de traitement n'est justifi�e ni par la nature de ces droits ni par les dispositions pertinentes du Pacte. Le Comit� a d�j� pr�cis� qu'il consid�rait que de nombreuses dispositions du Pacte se pr�tent � une application imm�diate. � cet �gard, il a cit�, � titre d'exemple, dans son observation g�n�rale n 3 (1990), les articles suivants du Pacte : 3, 7 (al. a, i), 8, 10 (par. 3), 13 (par. 2, al. a, et par. 3 et 4) et 15 (par. 3). Il est important, � ce propos, de distinguer entre l'invocabilit� (terme utilis� dans le cas des questions sur lesquelles les tribunaux doivent se prononcer) et l'application directe (dans le cas des normes que les tribunaux peuvent mettre en oeuvre telles quelles). La d�marche g�n�rale de chaque syst�me de droit doit certes �tre prise en compte, mais il n'existe dans le Pacte aucun droit qui ne puisse �tre consid�r�, dans la grande majorit� des syst�mes, comme comportant au moins quelques aspects importants qui sont invocables. Il est parfois affirm� que les questions d'allocation de ressources sont du ressort des autorit�s politiques et non des tribunaux. Il faut, bien s�r, respecter les comp�tences respectives des diff�rentes branches de l'�tat, mais il y a lieu de reconna�tre que, g�n�ralement, les tribunaux s'occupent d�j� d'un vaste �ventail de questions qui ont d'importantes incidences financi�res. L'adoption d'une classification rigide des droits �conomiques, sociaux et culturels qui les placerait, par d�finition, en dehors de la juridiction des tribunaux serait, par cons�quent, arbitraire et incompatible avec le principe de l'indivisibilit� et de l'interd�pendance des deux types de droits de l'homme. Elle aurait en outre pour effet de r�duire consid�rablement la capacit� des tribunaux de prot�ger les droits des groupes les plus vuln�rables et les plus d�favoris�s de la soci�t�.

Application directe

11. Le Pacte n'exclut pas la possibilit� de consid�rer les droits qui y sont �nonc�s comme directement applicables dans les syst�mes qui le permettent. En effet, au moment de son �laboration, les tentatives visant � y inclure une clause tendant � rendre ces droits "non applicables d'une mani�re directe" ont �t� fermement rejet�es. Dans la plupart des �tats, c'est aux tribunaux, et non au pouvoir ex�cutif ou l�gislatif qu'il appartient de d�terminer si une disposition conventionnelle est directement applicable. Afin qu'ils puissent s'acquitter efficacement de cette fonction, les tribunaux et autres juridictions comp�tents doivent �tre inform�s de la nature et de la port�e du Pacte et du r�le important des recours judiciaires dans son application. Ainsi, lorsque des gouvernements sont impliqu�s dans une proc�dure judiciaire, ils doivent s'efforcer de promouvoir les interpr�tations de la l�gislation interne qui favorisent le respect des obligations qui leur incombent au titre du Pacte. De la m�me mani�re, il devrait �tre pleinement tenu compte du principe d'invocabilit� du Pacte dans la formation des magistrats. Il est particuli�rement important d'�viter toute pr�somption de non-application directe des normes du Pacte. En fait, bon nombre de ces normes sont libell�es en des termes qui sont au moins aussi clairs et pr�cis que ceux des autres instruments relatifs aux droits de l'homme, dont les tribunaux consid�rent g�n�ralement les dispositions comme directement applicables.

D. Place accord�e au Pacte par les tribunaux nationaux

12. Dans les directives r�vis�es du Comit� concernant la forme et le contenu des rapports que les �tats parties doivent pr�senter, il est demand� � ces derniers d'indiquer si les dispositions du Pacte peuvent "�tre invoqu�es devant les tribunaux, d'autres instances ou les autorit�s administratives" et "�tre directement appliqu�es par eux" (4). Certains �tats fournissent d�j� de tels renseignements, mais il faudra accorder une importance accrue � cet aspect dans les futurs rapports. En particulier, le Comit� attend des �tats parties qu'ils fournissent des pr�cisions sur toute d�cision importante de leurs juridictions nationales s'appuyant sur les dispositions du Pacte.

13. Il ressort des informations disponibles que la pratique des �tats n'est pas uniforme. Le Comit� note que certains tribunaux appliquent les dispositions du Pacte, soit directement soit en tant que normes d'interpr�tation. D'autres tribunaux sont dispos�s � reconna�tre, sur le plan des principes, l'utilit� du Pacte pour interpr�ter le droit national, mais, dans la pratique, l'effet de ses dispositions sur leur argumentation et l'issue de leurs d�lib�rations est extr�mement limit�. D'autres encore ont refus� de faire le moindre cas des dispositions du Pacte lorsque des personnes ont essay� de s'en pr�valoir. Dans la plupart des pays, les tribunaux sont encore loin de s'appuyer suffisamment sur le Pacte.

14. Dans les limites de l'exercice de leurs fonctions de contr�le judiciaire, les tribunaux doivent tenir compte des droits �nonc�s dans le Pacte lorsque cela est n�cessaire pour veiller � ce que le comportement de l'�tat soit conforme aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. Le d�ni de cette responsabilit� est incompatible avec le principe de la primaut� du droit, qui doit toujours �tre per�u comme englobant le respect des obligations internationales relatives aux droits de l'homme.

15. Il est g�n�ralement reconnu que le droit interne doit �tre interpr�t�, autant que faire se peut, d'une mani�re conforme aux obligations juridiques internationales de l'�tat. Ainsi, lorsqu'un organe de d�cision interne doit choisir entre une interpr�tation du droit interne qui mettrait l'�tat en conflit avec les dispositions du Pacte et une autre qui lui permettrait de se conformer � ces dispositions, le droit international requiert que la deuxi�me soit choisie. Les garanties en mati�re d'�galit� et de non-discrimination doivent �tre interpr�t�es, dans toute la mesure possible, de mani�re � faciliter la pleine protection des droits �conomiques, sociaux et culturels.


Notes

*/ Adopt� par le Comit� � sa 51�me s�ance, tenue le 1er d�cembre 1998 (dix-neuvi�me session).

1/ E/1991/23, annexe III.

2/ Nations Unies, Recueil des Trait�s, vol. 1155, p. 331.

3/ En application du paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte, les �tats "s'engagent � garantir" que les droits qui sont �nonc�s dans le Pacte seront exerc�s "sans discrimination aucune".

4/ Voir E/1991/23, annexe IV, sect. A, par. 1, al. d, iv.



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